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"Veepee reste une entreprise créative, innovante et solide"

Publié par Propos recueillis par Dalila Bouaziz le - mis à jour à

Aux prémices de l'e-commerce, en 2000, Jacques-Antoine Granjon voit dans le Web la possibilité de faire entrer le monde entier dans une boutique virtuelle présentant des catalogues numériques. Vingt ans plus tard, Veepee est devenue l'une des plus belles réussites françaises dans le digital mais aussi le leader européen de la vente événementielle en ligne. Rencontre avec ce dirigeant emblématique qui a gardé intact sa passion pour son entreprise tout en faisant évoluer son business model.

En 21 ans d'existence, et avec le fort essor de l'e-commerce, quelles ont été les grandes transformations pour Veepee ?

Développer une entreprise est un long cycle. 20 ans, c'est à la fois jeune et mature. Durant ces deux décennies, nous avons connu un certain nombre de phases. Entre 2000-2004, nous expérimentons le modèle et notre notoriété est à construire. Nous inventons une nouvelle façon de vendre des produits via le digital, en devenant un soldeur en ligne, mais il n'y a pas encore l'ADSL. Entre 2004-2010, nous réalisons une incroyable croissance. Nous passons de 0 à 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires. Nous sommes profitables dès 2004, nous embauchons 2 500 personnes sans aucune levée d'argent, « Google Free ». C'est assez unique. De 2010 à 2018, nous nous confrontons à l'aventure américaine (Veepee se lance sur le marché américain en 2011 mais en 2014, la société se retire faute de rentabilité, NDLR), à l'arrivée de la concurrence, à la maturité de l'Internet, au discount se développe dans l'ensemble du retail y compris parmi les marques... Le secteur se tend. En 2019 nous recentrons notre modèle en Europe après deux années de croissance externe (rachats de Privalia, Vente-exclusive.com,...). Nous devenons le leader en Europe. 2020-22 sont des années d'intégration, de réorganisation matricielle, de maturité sur notre savoir-faire. Aujourd'hui, nous restons une société indépendante, profitable, non cotée en Bourse, libre de son destin. Nous restons une entreprise créative, innovante et solide.

Aujourd'hui, nous restons une société indépendante, profitable, non cotée en Bourse, libre de son destin.

Comment s'est déroulée l'année 2021 ?

Il est compliqué de répondre à cette question. Certes le contexte de déstockage a été extrêmement favorable avec des magasins fermés. Mais notre activité voyage a été impactée. Aujourd'hui, les enseignes veulent rapprocher leurs usines des lieux de distribution, en fabriquant moins en Chine. Depuis juillet 2021, les marques qui ont souffert produisent moins, ce qui entraîne naturellement une diminution de leurs stocks

Quelles sont les prochaines étapes de votre développement ?

Nos axes de développement sont quadruples. Le déstockage demeure notre coeur de métier. Grâce à notre trafic extrêmement puissant, nous nous sommes développés dans le voyage, sans passer par Google. Nous réalisions quasiment 400 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Nous sommes passés à zéro pendant le confinement en 2020. Deux ans après, nous avons renoué avec les chiffres de 2019. Le voyage est la plus belle réussite de Veepee en termes de diversification. Troisième axe, notre marketplace, la « Brandsplace ». Nous connectons les catalogues des marques et animons leurs promotions sur des collections plus récentes. Nous avons ainsi connecté 21 marques du groupe L'Oréal. Veepee et le seul site au monde où nos membres peuvent mettre dans leur panier les produits des quatre activités de L'Oréal : le luxe, la parapharmacie, les PGC (produits de grande consommation) et la coiffure. Et enfin, dernier axe fort la seconde main.

Justement, où en êtes-vous dans votre programme de seconde main « Re-cycle » ?

Nous avons développé de nombreux projets autour de la seconde main. Fin 2020, nous avons lancé « Re-cycle », une initiative en faveur d'une mode plus durable. Les membres peuvent retourner les articles qu'ils ont dans leurs armoires en échange d'un bon donné par la marque ou un distributeur. Ces produits sont récupérés, lavés, triés, reshootés puis revendus sur notre plateforme. Nous proposons des ventes quotidiennement sur le site. L'an dernier, cela représentait plus de 200 000 pièces. Autre initiative, le service « Re-turn » qui permet aux membres de revendre un produit à la communauté Veepee plutôt que de le renvoyer. L'objectif est d'éviter les coûts de transport, tri, renvoi à la marque et donc de réduire notre empreinte carbone. C'est le début de notre approche C2C. Nous allons vers des services où nous sommes moins dépendants des stocks des marques, puisqu'il y a des millions de pièces dans les armoires de nos membres.

Cela vous incite-t-il à réfléchir à votre modèle ou aux produits en vente sur la plateforme ?

Nous sommes au bout de la chaîne industrielle. Notre métier de soldeur digital implique que nous ne produisions rien. Nous vendons les invendus, et participons ainsi à cette économie circulaire. Ensuite, nous sommes influenceurs. Nous ne vendons pas de fourrure animale depuis une dizaine d'années. Les marques sont libres de leurs choix et font la balance entre profitabilité, éthique, morale, vision à long terme et leur besoin d'accompagner les consommateurs dans la protection de la planète. Nous prenons des actions concrètes qui nous paraissent importantes pour nous et nos membres.

Ma vision long terme de l'entreprise et des services de Veepee me permettent de ne pas gérer l'entreprise avec uniquement une vision financière.

Cette indépendance a un prix, et c'est notre choix. Quand nous faisons de la seconde main, ce n'est pas de l'opportunisme. Nous y réfléchissons depuis longtemps.

Dans quels pays êtes-vous présents aujourd'hui ? Quels sont les Etats les plus porteurs ?

Nous avons racheté les leaders en Europe. Nous sommes actuellement présents dans dix pays. Nous nous sommes réorganisés depuis la crise sanitaire. Nous étions dans deux pays en Amérique du Sud, le Mexique et le Brésil. Nous avons vendu le premier et sommes en cours sur le second. Nous nous sommes recentrés sur l'Europe. Nous avons fermé les petits pays B to C : Danemark, Pologne, etc. mais également l'Angleterre juste avant le Brexit. Aujourd'hui, nous sommes sur cinq zones le Benelux, l'Allemagne et la Suisse, l'Italie, l'Espagne, la France. Et c'est quand même un métier de marques, très latin. La France représente 55 % de nos ventes et donc 45 % pour les autres pays au global. Nous avons réussi le pari d'être une société européenne.

Début janvier, l'entreprise a migré sur une seule et même plateforme européenne. Quels ont été les défis à relever ?



Ce chantier a nécessité trois à quatre ans de travail. Nous avons réussi à muter huit plateformes e-commerce, avec un chiffre d'affaires conséquent sur chacune d'entre elles (au global, 3,2 milliards d'euros en 2021) tout en continuant notre expansion, en une plateforme unique le 11 janvier 2022. Un projet fastidieux et coûteux, très technique, avec des outils à harmoniser pour des équipes européennes. Nous avons installé la marque Veepee depuis 2019 (anciennement vente-privee.com), et nous avons encore deux marques en Espagne et Italie (Privalia et Veepee). Nous avons réussi cette intégration européenne. La plateforme compte 66 millions de membres, 4,5 millions de visiteurs uniques quotidien. Nous avons le taux de personnes qui reviennent tous les jours le plus élevé du Web à 35 %. Et ce trafic reste notre Graal. Veepee est un média vendeur puissant qui travaille avec 7 000 marques et vend plus de 100 millions de produits par an.

Vous êtes revenu aux commandes opérationnelles de Veepee en 2019, est-ce temporaire ?

J'ai eu deux expériences malheureuses avec des DG, c'est de ma faute puisque je les ai choisis. J'ai décidé de faire autrement, en reprenant les rênes de Veepee, ce n'est donc pas temporaire. Je travaille désormais avec deux DGA et je suis beaucoup plus impliqué opérationnellement. Cela me convient, et j'espère aux équipes aussi.

Vous faites partie de la première génération d'entrepreneurs sur le digital, comment voyez-vous l'évolution du paysage de l'e-commerce ?

Aujourd'hui, l'e-commerce n'est plus l'apanage des start-up ni des pure players. Il appartient au « phygital ». J'ai toujours considéré que le commerce en ligne n'était qu'une façon de vendre. Nous sommes des commerçants. Avec le digital, le consommateur est devenu roi, il est libre et averti. Il a accès à toute la concurrence d'un clic. Il a ainsi l'opportunité d'aller dans un magasin s'il a envie ou de se faire livrer en achetant sur Internet...

Quel est votre regard sur les technologies émergentes qualifiées de Web3, metaverse, NFT, etc.?

C'est un monde virtuel extrêmement addictif et attractif. Néanmoins, cela reste un monde parallèle. Je peux le comprendre mais il ne m'attire pas personnellement. Le Web3 est axé sur la propriété du virtuel, d'objets digitaux, sur la spéculation, il est l'ultra-capitalisme. Quand je vois que des jeunes préfèrent acheter des terrains virtuels, avec l'argent gagné avec les bitcoins, plutôt que de s'acheter un appartement, c'est assez fascinant. Néanmoins, derrière le metaverse, se dessine un monde extrêmement énergivore. Pour pouvoir se mouvoir dans un monde virtuel en pixels de manière qualitative, les besoins en serveurs sont très conséquents.

Quels enseignements tirez-vous de la crise actuelle en matière de réorganisation et de souplesse ?

Excepté les équipes logistique et shooting, nous avons mis 5 000 personnes en télétravail dès le 16 mars 2020. Nous étions prêts car nous avions vécu les manifestations Gilets jaunes, et les grèves de la RATP. Et nous avons pu déployer le télétravail dans l'ensemble de nos pays. Nous n'avons véritablement lancé le retour au bureau des collaborateurs que le 10 octobre 2021. Nous avons opéré l'entreprise pendant 18 mois totalement en « remote ». La crise sanitaire a permis de repenser l'organisation du travail en mettant en place le flex office de manière très libre. Nos collaborateurs travaillent 2 à 3 jours par semaine en télétravail, selon la décision de chaque manager. C'est une révolution. Avec la crise qu'on a vécue et qui continue avec la guerre en Ukraine et les menaces sous-jacentes, la vision du travail est différente. Si vous ne mettez pas en place une façon de travailler plus moderne, vous aurez du mal à recruter de nouveaux collaborateurs.

Quand vous regardez votre parcours dans le rétroviseur de quoi êtes-vous le plus fier ?

Je suis plutôt quelqu'un d'insatisfait, j'ai tendance à regarder ce que j'ai raté plutôt que réussi. Néanmoins, avoir une entreprise avec presque 6 000 personnes, pouvoir déployer une vision à long terme, et pouvoir mettre en place une organisation du travail progressiste me donne une énergie folle. Une entreprise, même si vous en êtes l'actionnaire principal, ne vous appartient plus totalement. Elle appartient aux gens qui y travaillent et y consacrent une partie de leur vie. Cela permet d'envisager de grands projets car vous avez une puissance pour les réaliser.

Son parcours

Né 1962, Jacques-Antoine Granjon est diplômé de l'école de commerce parisienne l'European Business School. En 1985, il fonde, avec un ancien camarade, sa première société baptisée Cofotex. Il se spécialise déjà dans la vente en gros de fins de séries.

En 2001, avec sept associés, il lance un site de déstockage dédiée à la vente privée de produits de marques « Vente-privee.com ». La société propose aux clients parrainés des produits de grandes marques à prix cassés. Il mise sur un double concept : l'événement et l'exclusivité.

En 2019, vente-privee.com devient Veepee.