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James Rebours (Cdiscount) : «La logistique est un défi majeur"

Publié par Dalila Bouaziz le | Mis à jour le

Moteur dans les innovations dédiées à la supply chain, le n°1 de l'e-commerce français multiplie les projets ces dernières années. James Rebours, directeur de l'innovation et de la performance de la supply chain de Cdiscount, revient sur les nouveautés du groupe et décrypte les tendances du secteur.

Quels sont les enjeux de Cdiscount dans la supply chain?

Depuis trois ans, nous investissons massivement dans une démarche d'open innovation au service de l'amélioration de notre chaîne logistique, des entrepôts à l'expérience utilisateur. Nous avons défini nos quatre enjeux prioritaires, nos "pain points": la réduction de la pénibilité au travail, l'optimisation de l'expérience client et de la performance (coût, productivité...) et le déploiement d'une démarche RSE. Pour répondre à ces problématiques, nous testons des solutions matures et innovantes dans notre POC Factory (équipe dédiée à l'innovation). Chaque année, nous en testons une quinzaine, dont une grande majorité est par la suite déployée dans nos entrepôts. Pour les prototypes, nous avons créé en 2017 notre propre accélérateur de start-up spécialisées dans la logistique "The Warehouse".

Quel est l'objectif de cet incubateur?

Chaque année, nous sélectionnons cinq start-up par promotion. Durant un an, elles profitent d'un accompagnement pour développer gratuitement leurs projets autour de la supply chain, dans un entrepôt recréé sur 300 mètres carrés, à Cestas. Elles peuvent ainsi tester leurs solutions sur nos systèmes de production et nos machines en ayant accès à nos flux réels. Notre objectif est de transformer leur concept ou prototype en produit. Sauf exception, nous n'imposons pas l'exclusivité. Pour notre première promotion, nous avons obtenu un taux de succès de 60% avec les jeunes pousses NoMagic (un bras articulé mécanique doté d'une intelligence artificielle), ShopRunBack (solution de reverse logistique dédiée aux produits de plus de 30 kilos) et Ez-wheel (outil pour rendre les chariots autonomes afin de réduire la pénibilité des opérateurs et augmenter leur performance). Cette année, nous avons choisi trois sociétés spécialisées en robotique (iFollow, TwinswHeel et Unsupervised.Ai), une sur la blockchain (Ownest) et la dernière sur le "last mile" (Agrikolis).

Quelles sont les tendances actuelles dans la livraison et les spécificités du marché français?

L'enjeu permanent est d'offrir au consommateur un service de livraison rapide, flexible, interactif et responsable. Nos clients veulent être livrés le plus vite possible et souvent sur des créneaux précis. Il faut pouvoir offrir un panel de solutions qui répondent à ses attentes. 40% de nos colis sont livrés en J+1 et nous offrons la livraison le jour même dans six grandes villes françaises via la SNCF. Naturellement, il faut un service flexible en termes de lieu de livraison et d'horaire. Cdiscount dispose d'un maillage important de points retrait (20 500 au total) et nous proposons une livraison sept jours sur sept. La tendance actuelle veut aussi que le client maîtrise sa livraison et puisse interagir avec le livreur. Nous proposons le suivi de la livraison en temps réel et cela fonctionne très bien.

Quelles sont vos dernières innovations sur le dernier kilomètre?

De décembre à mai 2019, nous avons testé la livraison en l'absence du client via la serrure connectée, à Bordeaux et dans les villes alentour (Talence, Mérignac). D'un point de vue opérationnel, nous sommes prêts, mais il faut prendre en compte l'acceptation sociale du marché. La flexibilité de la livraison est également primordiale. Aussi, nous travaillons avec la start-up Bringg pour les produits de plus de 30 kilos. Le client peut géolocaliser le livreur et connaître le créneau exact de sa livraison, ajusté en temps réel. Nous avons été les premiers à tester ce service en France dans cette catégorie. Autre nouveauté, nous avons signé, en février, un partenariat avec Agrikolis pour permettre à nos clients vivant dans des zones rurales, péri-urbaines ou isolées de se faire livrer dans des exploitations agricoles, par le biais de points retrait. Nous travaillons également sur la diminution de l'empreinte carbone du "last mile".

Justement, comment répondez-vous à l'équation conjuguant une livraison de plus en plus rapide et l'enjeu environnemental?

Nous voulons être moteur dans la réduction des émissions carbone. Dans notre secteur, c'est indispensable.

Chez Cdiscount, le "same day" est un flux très peu carboné. Le transport de nos colis s'effectue en très grande partie par TGV et LGV. Pour nos gros produits, ceux de plus de 30 kilos, nous nous sommes équipés d'une dizaine de camions électriques, à Paris et à Bordeaux, avec notre transporteur Gruau. Depuis mai, tous les produits qui quittent notre entrepôt de Cestas pour une livraison à Bordeaux sont livrés par des véhicules électriques via Colissimo. Nous traquons également le vide dans nos colis. Dans deux de nos entrepôts (Cestas et Réau), nous avons installé une solution automatisée d'emballage, la CVP-500 (et depuis juillet la CVP-1000). Cette machine, conçue par Neopost Shipping, permet de diminuer notre empreinte carbone avec une réduction de 30% de transport par camion. Nous voulons être moteur dans la réduction des émissions carbone. Dans notre secteur, c'est indispensable.

Travaillez-vous sur la livraison par robot autonome ou par drone?

Parmi les sociétés sélectionnées au sein de notre incubateur, trois d'entre elles travaillent sur des solutions de robotisation et d'automatisation (iFollow, TwinswHeel et Unsupervised.Ai). Chacune d'entre elles planche sur un cas d'usage: comment accompagner nos clients dans nos deux points retrait parisiens destinés aux produits volumineux. Nous avons demandé à nos jeunes pousses de travailler sur un robot qui accompagnerait les consommateurs, avec la marchandise, jusqu'à leur véhicule. Nous nous employons à obtenir les autorisations spécifiques dans le cadre d'une véritable expérimentation -après un premier test réalisé fin 201 - comme cela avait été le cas pour Franprix, marque du Groupe Casino (NDLR: l'enseigne teste actuellement dans un magasin parisien un robot autonome capable de transporter 40 kilos de produits jusqu'au domicile des clients).
Nous avons également étudié les navettes autonomes. Néanmoins, elles sont testées dans des "zones contrôlées", c'est-à-dire sur des voies privées. L'enjeu est la masse critique de volumes. Pour l'instant, nous n'avons pas trouvé la zone de densité suffisante pour aboutir à ce type de solution. Concernant les drones, c'est un projet que nous menons depuis deux ans. Chez Cdiscount, nous travaillons sur la piste d'une livraison rapide d'articles de moins de 5 kilos depuis l'entrepôt vers le centre-ville, via les points retrait. Néanmoins, aujourd'hui, il n'existe pas de cadre réglementaire défini ni de système de gestion aérien de ces objets, et l'acceptation de ces technologies par la société pose encore problème. Les drones sont une problématique de long terme.

Quelle est votre vision des enjeux de la supply chain dans le retail?

La logistique est un défi majeur et un avantage concurrentiel puissant. C'est pourquoi elle concentre la plupart des innovations pour apporter au client un service toujours au plus près de ses attentes. Nous croyons au partage d'idée et d'expérience. Nous sommes convaincus que l'ouverture, l'échange et la collaboration sont des moteurs de développement. Nous avons créé une direction de l'innovation transverse et même une direction spécifique dédiée à l'innovation au sein de la direction logistique afin d'anticiper aux mieux les besoins des clients et d'y répondre avec agilité et performance. C'est en ce sens que les entreprises doivent se développer pour relever des défis essentiels (RSE, réduction de la pénibilité au travail, expérience client et performance).

L'IA est-elle devenue indispensable à la supply chain?

Nous utilisons l'intelligence artificielle dans deux projets spécifiques. Avec la start-up NoMagic, pour la mise en place d'un bras robotisé pour la préparation de commandes mono-produit. Baptisé "Magicloader", il permet de préparer des commandes en prenant les produits directement depuis un bac en vrac. L'outil est équipé de systèmes de capteurs dotés d'intelligence artificielle pour reproduire l'apprentissage de la préhension d'un produit par un robot afin d'atteindre la cadence d'un opérateur. Il peut ainsi identifier et attraper les articles puis les placer dans un colis. Nous voulons automatiser les tâches répétitives pour les opérateurs et augmenter la cadence de préparation. Par ailleurs, nous travaillons à l'optimisation de la gestion de nos stocks. Au vu de nos volumes, l'IA est indispensable dans le traitement de nos données.

Comment voyez-vous évoluer le rôle de vos opérateurs dans vos entrepôts?

L'opérateur est au coeur de l'activité de nos entrepôts. Il est à ce titre indispensable à son bon fonctionnement. Nous sommes convaincus que nos collaborateurs doivent être associés à tous les projets pour apporter leur expertise opérationnelle, sur l'optimisation de l'ergonomie de leur poste de travail, la résolution de leurs points de douleur et l'amélioration de leur bien-être au travail. Et lorsque nous parlons de robots collaboratifs, de cobots, nous croyons à la pertinence de combiner les capacités d'un robot (force, précision, répétabilité, etc.) avec les compétences spécifiques des personnes (savoir-faire, analyse, prise de décision, etc.). Bref, innover pour accompagner nos opérateurs vers des métiers à plus forte valeur ajoutée.

Enfin, pouvez-vous nous en dire plus sur le lancement de la chaire "Supply chain du futur"?

Dans le cadre de notre politique d'open innovation, nous nous investissons beaucoup dans la recherche, auprès des écoles, des universités et des laboratoires de recherche afin d'apporter notre savoir-faire de leader e-commerce français, mais aussi d'échanger sur les solutions logistiques de demain avec les acteurs en devenir et d'anticiper au mieux les usages de nos clients. L'initiative de la chaire, qui réunit de grands noms de l'industrie française (Renault, Louis Vuitton et Michelin), s'inscrit dans cette démarche. Nous sommes des acteurs de référence sur nos marchés et notre approche de l'innovation est complémentaire.
Certains d'entre nous sont plus matures que d'autres sur certains sujets et cela nous permet de mettre en commun cette base de savoir et de découverte afin de créer un écosystème plus fort.
Il s'agit de partager les bonnes pratiques et de réfléchir ensemble pour des avancées ambitieuses en lien avec les enjeux que représentent le développement de la supply chain du futur, et notamment la prise en compte des enjeux technologiques, organisationnels, sociaux et environnementaux. Nous avons déjà effectué deux séminaires, le premier sur l'IoT et la blockchain et le second sur l'automatisation des entrepôts.

Son parcours

2011: James Rebours est diplômé de l'école nationale des Ponts et Chaussées. Il commence sa carrière en finance au sein du cabinet international d'audit financier et de conseil EY puis chez NiXEN.
2016: James Rebours rejoint le groupe Casino en tant que directeur de mission au département stratégie de Cdiscount.
En 2018, il est nommé directeur de l'innovation et de la performance de la supply chain de Cdiscount.


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