Live shopping : et si l'Asie dessinait l'avenir de l'e-commerce ?
Publié par Elsa Guerin le - mis à jour à
Dans les centres commerciaux de Hanoï ou de Bangkok, des créateurs filment en continu et vendent en live à des milliers d'acheteurs connectés. Ce modèle, encore balbutiant en Europe, explose en Asie. Ecommerce Mag a rencontré Kuider Akani, spécialiste du social commerce, tout juste revenu d'un voyage auprès des acteurs de l'e-commerce en Asie du Sud-Est. Pour lui, nul doute : il s'y joue une révolution culturelle que l'Europe ne peut plus ignorer.
Si l'e-commerce européen peine à se réinventer, une révolution discrète mais massive est en marche de l'autre côté du globe. La vague du live shopping y redessine les codes du commerce digital. Pour Kuider Akani, ancien Global Chief Digital Officer chez Yves Rocher et aujourd'hui consultant en e-commerce, social commerce et live shopping, il est urgent que les marques européennes s'en emparent.
L'e-commerce bousculé par de nouvelles pratiques
"J'ai vécu l'essor et les différentes évolutions de l'e-commerce", raconte Kuider Akani. Pendant plus de dix ans, l'acquisition de trafic a été le nerf de la guerre, centrée sur les moteurs de recherche comme Google ou les plateformes publicitaires de Meta. Mais face à des géants comme Amazon, les marques indépendantes se retrouvent vite limitées. Aujourd'hui, l'écosystème a basculé : deux évolutions majeures bousculent les repères établis. D'un côté, l'intelligence artificielle transforme la manière dont les consommateurs accèdent à l'offre - "la recherche ne passera plus forcément par une requête sur Google suivie d'un tunnel de conversion, mais s'opère de plus en plus via des plateformes sociales comme TikTok, Amazon ou des interfaces conversationnelles comme ChatGPT" explique l'expert.
De l'autre, le social commerce - et en particulier le live shopping - redistribue les cartes. Là où les parcours d'achat démarraient jadis sur Facebook ou Instagram pour atterrir sur les sites des marques, les modèles asiatiques ont imposé une nouvelle logique : le social commerce avec "par exemple des achats en commun (plus les gens achètent ensemble, plus le prix baisse), avec une intégration native du check-out sur des plateformes, mais aussi le live shopping qui trouve un nouveau souffle avec TikTok Shop et TikTok Live Shopping." commente Kuider Akani.
Une croissance à deux vitesses
Le contraste est saisissant. En Asie du Sud-Est, le live shopping explose : "jusqu'à 20 % de l'e-commerce passe par ces formats en direct", nous explique Kuider Akani. Il complète : "près de 2,5 millions de sessions live mensuelles rien qu'au Vietnam, animées par plus de 50 000 créateurs". Des marques internationales comme L'Oréal ont rapidement investi le terrain. Au Vietnam, le géant de la cosmétique a ouvert un complexe de 22 studios sur 1 700 m² pour diffuser ses lives, générant une part croissante de son chiffre d'affaires via ce canal.
En Europe, à l'inverse, le live shopping stagne. Après quelques années d'expérimentation, le coût du dispositif a fini par dissuader de nombreux acteurs. En France notamment, seules les grandes enseignes tirent leur épingle du jeu. Pour les marques plus modestes, les coûts d'acquisition explosent, les plateformes comme Google, Meta ou Amazon concentrent l'essentiel du trafic... et la marge.
Un modèle né d'un écosystème structuré
Le succès du live shopping en Asie repose sur plusieurs piliers : des plateformes puissantes et non centralisées (Shopee, Lazada, TikTok Shop) à l'inverse de l'Europe, un écosystème créatif dynamique d'agences (social commerce et Multi Channels Networks MCN), mais surtout une approche culturelle radicalement différente.
"En Asie, on ne débat pas, on agit. Là où les marques européennes s'interrogent longuement sur la pertinence du live shopping et se demandent encore si c'est pour elles, leurs homologues asiatiques testent, optimisent, passent à l'échelle", souligne Kuider Akani.
TikTok, fer de lance de cette révolution, a bâti une stratégie redoutablement efficace : créer d'abord une audience, embarquer ensuite les marques avec des commissions faibles (6 à 8 %), avant de structurer l'offre et monter en puissance sur la monétisation (jusqu'à 12 % voire au-delà). Le tout soutenu par une politique événementielle massive. En Asie du Sud-Est, la plateforme organise des "Beauty fest" ou des marathons de live shopping en plein centre commercial, avec créateurs stars et influenceurs. À Singapour, des influenceurs montent même leurs propres studios, et en Thaïlande, certaines sessions de live peuvent durer... jusqu'à 10 heures.
Plus intéressant encore, Kuider Akani analyse que si le live shopping a longtemps été cantonné à la mode et à la cosmétique, il s'ouvre à présent à de nouveaux secteurs. KFC y vend désormais des menus en direct, des banques y proposent des cartes et des services financiers, des marques auto comme Ford y testent des formats immersifs. "Ce n'est pas seulement une question de technologie, c'est une transformation culturelle", analyse Kuider Akani et poursuit : "Le live réinvente la relation au consommateur, dans une logique communautaire et incarnée. Il ne s'agit plus de parler à une audience, mais de parler avec elle, en temps réel."
L'Europe à la croisée des chemins
Parmi les marques européennes prêtes à tenter l'expérience, il y a l'enseigne de prêt-à-porter Zara : après deux ans d'observation et de test en Chine, l'enseigne prévoit de lancer sa propre chaîne de live shopping cet été, avec un format resserré (1 à 2 heures). Pour Kuider Akani, le live shopping offre une porte de sortie stratégique à l'e-commerce européen, en mal d'innovation et d'audience.
"Face à une Génération Z qui n'écoute plus les marques mais les créateurs, face à un retail physique en crise, il faut abandonner les raisonnements classiques. Et se lancer dans l'expérience. Attention, il ne faut pas tarder : Zara se lance dans le live shopping très prochainement, mais cela après deux années de travail." Kuider Akani met en garde les entreprises françaises : "À l'ère d'un e-commerce de moins en moins linéaire, peu rentable et en faible croissance, il est temps pour les marques d'explorer de manière dynamique de nouvelles voies pour se développer : le live shopping est clairement une opportunité."
📌 En résumé :
+ 20 % : part du live shopping dans l'e-commerce en Asie du Sud-Est
2,5 M de lives par mois au Vietnam
TikTok Shop en position dominante