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Comment se réinventent les comparateurs?

Publié par Stéphanie Marius le - mis à jour à

Le secteur des comparateurs est écartelé entre trois enjeux: la recherche de la transparence, la diversification et la lutte contre Google Shopping, accusé d'étouffer les acteurs généralistes.


Comparateurs de prix généralistes, comparateurs de vols(1), d'assurances, de crédits... Le secteur, dont le nombre d'acteurs et le poids économique global demeurent non évalués à ce jour, fait face à plusieurs défis, au premier rang desquels, la transparence(2). Certains acteurs communiquent volontiers sur leur système de rémunération: "uniquement au coût par clic", selon Nicolas Jornet, directeur de la stratégie de Kelkoo, comparateur généraliste, ou "au coût par clic ainsi qu'avec un modèle de coût par acquisition, sans revente des données des visiteurs", dixit Jean-Sébastien Nénon, directeur des opérations de LesFurets.com, comparateur d'assurances et de produits financiers.

Pour ces plateformes, "la différence d'affichage entre les offres ne dépend que du taux de clics, de la pertinence et de la popularité de l'offre, précise Nicolas Jornet. Aucune mise en avant payante n'est effectuée." Une exemplarité qui n'est pas encore partagée par tous les acteurs.

Une obligation de transparence renforcée

Pour les retardataires, la législation se renforce: ainsi, un décret est publié au Journal officiel du 24 avril 2016 en lien avec la loi relative à la consommation pour affirmer la nécessité de communiquer le caractère exhaustif ou non des biens ou services comparés, ainsi que "les conditions de référencement des contenus [...], les critères de classement par défaut des contenus [...], l'information selon laquelle [le] classement a été influencé par l'existence d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération entre l'opérateur de la plateforme et l'offre référencée."

En parallèle, la loi pour une République numérique prévoit qu'avant la fin 2018, les plateformes dont le nombre de connexions mensuelles est supérieur à 5 millions de visiteurs uniques publient et appliquent une charte de bonnes pratiques en matière de clarté, de transparence et de loyauté(3).

Enfin, il appartient aux comparateurs de faire apparaître le prix final des biens et services exposés. La DGCCRF mène actuellement une enquête auprès des comparateurs de voyages, après les piètres performances du secteur en 2017: sur 157 acteurs étudiés, 45 avertissements ont été adressés, ainsi que 12 injonctions, 2 procès-verbaux et 4 amendes administratives, selon son compte rendu 2017.

Croissance et diversification: les spécialistes voient la vie en rose

Un deuxième défi, la diversification, concerne plus particulièrement les comparateurs de produits d'assurance. Ce marché en pleine expansion (+11 % en 2017 vs 2016, selon LesFurets.com(4)) est dominé par une poignée de poids lourds: LesFurets.com, LeLynx et MeilleureAssurance/MeilleurTaux. "La croissance s'inscrit dans un contexte général de comparaisons en hausse, précise Jean-Sébastien Nénon (LesFurets.com). 74 % des Français consultent en effet un comparateur d'assurances et les comparateurs représentent 10 à 12% du marché global de l'assurance automobile en France."

Pour renforcer sa dynamique de croissance, l'entreprise spécialisée dans l'assurance automobile diversifie son activité et lance, il y a neuf mois, deux nouveaux écosystèmes autour de l'habitation (dont l'énergie) et des services financiers (crédits à la consommation, crédits immobiliers) en partenariat avec La Centrale de financement et comparaison bancaire.

Google Shopping: la fin des comparateurs généralistes?

Une bonne santé et des perspectives d'évolution que ne connaissent pas les plateformes généralistes. Pour ces dernières, la situation apparaît même catastrophique et leurs efforts se concentrent sur la lutte contre le mastodonte Google Shopping. Ainsi, après une période de forte croissance ayant mené à un rachat par Yahoo! en 2004 pour 475 millions d'euros, les acteurs Kelkoo et Le Guide fusionnent il y a un an et demi, "pour maintenir une taille critique", affirme Nicolas Jornet, directeur de la stratégie de Kelkoo. "Depuis quatre ans, nous assistons à une concentration des acteurs, énormément sont en difficulté. Nombre de comparateurs américains ferment ou se retirent du marché européen. Certains poids lourds hexagonaux, comme Ciao, disparaissent, malgré une attractivité du secteur qui ne faiblit pas", précise Nicolas Jornet.

Kelkoo annonce un chiffre d'affaires divisé par deux depuis cinq ans (80 millions d'euros de CA en 2012). De son équipe de 300 collaborateurs, il n'en demeure que 150. Et les bureaux d'Allemagne, de Suède, d'Espagne ont fermé.

La raison? L'apparition de Google Shopping, mis en première page des recherches par Google au détriment des autres comparateurs. Les acteurs affirment se contenter désormais de 2% du marché, tandis que Google en a capté 98%. 19 plateformes ont ainsi saisi la commission européenne pour concurrence déloyale. Cette dernière inflige en juin 2017 une amende de 2,4 milliards d'euros à Google et demande que des solutions soient proposées par le géant du Net. "Pour nous, c'est insuffisant, déplore Nicolas Jornet. Les solutions proposées par Google ne fonctionnent pas."

"Google cherche à gagner du temps. Si le status quo est maintenu, dans 12 mois, il y aura très peu de comparateurs alternatifs en Europe." Nicolas Jornet, Kelkoo

En effet, la firme américaine propose aux comparateurs de payer des emplacements sur Google Shopping, ce qui les placerait en concurrence avec les autres marchands présents sur la plateforme.

Tous les quatre mois, une équipe missionnée par la commission européenne étudie l'impact des correctifs adoptés par Google et envoie un rapport à la commissaire Margrethe Vestager. "Nous espérons qu'un an après le premier jugement, la commissaire voie que le problème n'est pas réglé, déclare Nicolas Jornet. Google cherche à gagner du temps. Si le status quo est maintenu, dans 12 mois, il y aura très peu de comparateurs alternatifs en Europe. La survie de Kelkoo est menacée dans les mois qui viennent." Sur le marché français, Kelkoo a intenté en 2017 une procédure devant le tribunal de commerce de Paris pour demander des dommages et intérêts.

L'inquiétude est en passe de s'étendre à certains comparateurs spécialistes, notamment les acteurs du voyage et du tourisme. En effet, le développement de Google Flight (lancé en 2011) pourrait menacer leur pouvoir concurrentiel. "Nous avons régulièrement des échanges avec Tripadvisor et Yelp, assure Nicolas Jornet. Les spécialistes regardent l'évolution de notre combat avec intérêt, car ils pensent que cela fera jurisprudence pour leur propre activité." Entre un impératif de transparence et un appel à une régulation du marché, l'actualité s'annonce mouvementée pour les comparateurs de prix.

(1) Il convient de distinguer les comparateurs de vols rémunérés au coût par clic, tels que Google Flights, Kayak, Easyvoyage, Skyscanner, Liligo et Kayak, des agences de voyages en ligne, lesquels revendent des billets achetés en gros.

(2) Sont exclus de notre étude les comparateurs internes, à l'image du Labo Fnac, ainsi que les comparateurs liés à des médias ou des associations de consommateurs, comme UFC Que Choisir et Les Numériques.

(3) Aucun de nos interlocuteurs (comparateurs et DGCCRF) n'a cependant été en mesure de fournir d'éclaircissements sur ces "bonnes pratiques" et la notion de loyauté.

(4) Le Groupement des Comparateurs en Assurance et Banque, sollicité, n'a pas été en mesure de confirmer ces chiffres.

Repères et KPI

Selon les différents décrets relatifs à la loi pour la consommation, les modalités de référencement, déréférencement et de classement devront être accessibles dans une rubrique spécifique.
98%: c'est la part de marché de Google Shopping dans le secteur des comparateurs de prix généralistes.
2,4 MD€: amende infligée à Google par la commission européenne pour concurrence déloyale.
6 par minute: devis généréS par LesFurets.com.
74% des Français ont déjà consulté un comparateur d'assurances.
Parmi les 19 entreprises qui ont dénoncé les pratiques de Google devant la Commission européenne figurent les Français Twenga, Kelkoo, mais aussi Expedia et Tripadvisor.






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