Yves Audo : "La Chine est déjà l'usine du monde, ne la laissons pas être le magasin du monde"
Publié par Elsa Guerin le - mis à jour à
Yves Audo, président du Conseil du Commerce de France, a publié ce 6 mai 2025 un communiqué. Il y alerte une nouvelle fois sur les plateformes asiatiques qui inondent le marché français de produits dangereux, menaçant ainsi le commerce européen.
Depuis combien de temps alertez-vous au sujet de ces plateformes asiatiques ?
J'alerte depuis environ deux ans. Soyons très clairs : je n'ai rien contre l'e-commerce, mais il faut reconnaître que les règles d'équité ne sont pas respectées avec des plateformes comme Shein ou Temu. On assiste aujourd'hui à un commerce à deux vitesses : l'un, sur le territoire, qui respecte de nombreuses règles et apporte des recettes à l'État ; l'autre, qui vient d'ailleurs et qui outrepasse nos réglementations autour de la TVA, des droits de douane, des réglementations sécuritaires et de protection des données des consommateurs.
Cela s'accélère avec la guerre commerciale lancée par le président américain...
La croissance de ces modèles de plateformes asiatiques, on la voyait déjà. On la savait exponentielle. Mais les droits de douane imposés par Donald Trump n'ont fait qu'accélérer les flux de colis vers l'Europe. Nous devenons la cible de la Chine, qui a déjà redirigé ses investissements publicitaires réalisés aux États-Unis vers l'Europe. Nous allons complètement être envahis. La Chine est devenue l'usine du monde : si on la laisse faire, elle deviendra aussi le magasin du monde.
Comment percevez-vous les annonces du gouvernement, qui souhaite mettre en place des frais de gestion sur ces colis ?
Ce n'est absolument pas suffisant. Cette politique du "en même temps" - en même temps on perçoit que ce n'est pas normal, en même temps on mise sur les politiques des petits prix pour réguler l'inflation - tue le commerce local. Il s'agit d'une injustice complète : on contrôle ce qui se passe chez nous, mais pas ce qui vient de l'extérieur.
Ce qui est par ailleurs choquant, c'est d'entendre la ministre en charge des comptes publics affirmer que 94 % des produits issus de plateformes extra-européennes contrôlés par les douanes sont non conformes, dont 66 % sont dangereux. Qu'attendons-nous pour agir ? Un accident ?
Si le gouvernement est incapable de réagir et attend un consensus européen, alors dans trois ans, rien ne sera résolu. Je comprends que les processus soient longs, mais on est capables de légiférer très vite sur d'autres sujets, comme la promotion dans les supermarchés.
On ne peut pas tout contrôler, mais on peut rendre les importations moins rentables : taxer les colis à 25 ou 30 euros découragerait déjà une bonne partie des envois.
La France peut-elle se passer de l'Europe pour agir ?
Il faut du courage politique pour agir, et peut-être, oui, ne pas attendre l'Europe. La France est un des pays européens les plus touchés : plus de 20 % des français consomment sur ces plateformes. Si on ne met pas rapidement des garde-fous, on ne pourra plus rattraper le déséquilibre. Nous avons là une chance unique, inédite, d'être leader en Europe sur cette thématique.
Quelles sont les conséquences de cette forme d'attentisme ?
Les conséquences seront lourdes : disparition à bas bruit du commerce de proximité, perte de recettes fiscales importantes pour l'État, centres-villes désertés... Et au-delà du commerce, c'est tout un tissu social et culturel qui se délitera.
C'est ce qu'on a déjà connu avec l'industrie. Ce n'est pas qu'un problème économique, c'est aussi une question de lien social. Aujourd'hui, on parle beaucoup du textile, mais demain ce sera la vaisselle, la déco, et tout le reste. Ça va très vite.
Comment agir ?
Il faut agir rapidement : mettre en place une taxe sur les colis entrants pour financer les contrôles, renforcer les inspections en douane, et imposer de vraies sanctions. On doit aussi s'interroger sur le modèle économique des plateformes : que font-elles de nos données ? Comment les utilisent-elles ? Peut-on accepter qu'elles vendent toute l'année à perte, alors que les soldes sont encadrés chez nous ?
Et le rôle du consommateur...
Dire que c'est au consommateur de faire attention n'est pas raisonnable. C'est comme dire : "Je vous conseille de mettre une ceinture de sécurité." Non, il faut des règles. Je suis moi-même commerçant, je sais que le consommateur peut avoir des valeurs et aller quand même vers les petits prix. Ce n'est pas à lui de porter la responsabilité de ce commerce déloyal.
Qu'allez-vous faire ?
On interpelle le gouvernement depuis longtemps, mais le message se perdait car nous n'avions pas toujours l'unanimité entre petits et grands commerçants. Aujourd'hui, c'est l'ensemble des commerçants - grandes enseignes incluses - qui se mobilise. La preuve en est le communiqué de presse réalisé avec la Confédération des Commerçants de France (CDF) et le Conseil du Commerce de France (CdCF). Ensemble, nous pourrions nous mobiliser et, pourquoi pas, ne pas payer la TVA, puisque ces plateformes ne le font pas...