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SHEIN, TEMU : comment les géants chinois inquiètent la logistique européenne

Particulièrement critiquées pour l'impact qu'elles ont sur le marché du commerce européen, les plateformes asiatiques comme SHEIN ou TEMU suscitent également l'inquiétude des professionnels de la logistique. Ces derniers redoutent la remise en question de leurs modèles, fondés sur des standards élevés en matière d'expérience client. Entretien avec Vincent Ricci, directeur général de GXO France.

Publié par Elsa Guerin le | mis à jour à
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SHEIN, TEMU : comment les géants chinois inquiètent la logistique européenne
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Prix plus bas que le marché, promotions permanentes, retours gratuits... Les plateformes de l'ultra fast fashion séduisent les consommateurs, notamment européens et français. Shein et Temu représentaient, en 2024, selon Philippe Wahl, PDG de La Poste, 22 % des colis traités, alors qu'ils ne pesaient que moins de 5 % il y a cinq ans. L'ensemble des fédérations du commerce, du prêt-à-porter et de l'e-commerce ont manifesté publiquement leur crainte de voir les commerces européens disparaître. Comme l'explique Bernard Cherqui : "Cela risque de nous priver du commerce, c'est-à-dire de notre présence dans nos villes, du lien social, des rentrées fiscales et de centaines de milliers d'emplois." Moins visibles sur le sujet, certains acteurs de la logistique s'inquiètent eux aussi des conséquences de ces nouvelles plateformes sur leurs emplois.

Exit la qualité de l'expérience client

La surconsommation et la surproduction générées par les plateformes de l'ultra fast fashion - plus de 7 200 nouveautés chaque jour chez Shein - s'accompagnent d'une déferlante de livraisons et retours gratuits. Toutefois, leur modèle de livraison contraste fortement avec les attentes du marché européen, largement façonné par les standards imposés par Amazon : livraisons rapides, emballages soignés, suivi de commande précis. Aucun de ces standards n'est proposé dans l'expérience d'achat de ces acteurs asiatiques. Le prix le plus bas du marché, et uniquement le prix, constitue la stratégie commerciale de ces derniers.

Vincent Ricci, Managing Director France chez GXO, alerte : "Le problème, c'est que ces plateformes asiatiques changent les habitudes des consommateurs, qui s'étaient accoutumés à un modèle J+1. Toute la logistique s'est adaptée à cette exigence de rapidité. Mais ces nouveaux acteurs n'ont pas besoin de cette qualité de livraison : ils misent uniquement sur le prix. Si ce modèle venait à se généraliser, ce sont des centaines de milliers d'emplois qui seraient menacés en France. "

DGA GXO Logistics France


La logistique emploie aujourd'hui 2,13 millions de personnes en France, selon France Travail, ce qui en fait le cinquième secteur employeur de l'Hexagone. Ce domaine englobe plusieurs branches :

- Le transport terrestre (55 % des emplois)

- La logistique proprement dite (26 %)

- Les activités de poste et de courrier (13 %)

- Le transport aérien (4 %)

- Le transport maritime et fluvial (1 %)

Pour les acteurs de la logistique, dont la croissance est exponentielle depuis 2020 et le grand bond de l'e-commerce durant la crise sanitaire, l'arrivée de ces nouveaux modèles de consommation "drivés" par le prix n'est pas sans risque. Vincent Ricci poursuit : "Le cas s'est déjà présenté récemment avec une enseigne de fashion étrangère qui a adopté un modèle plus proche de ces plateformes : livraison dans des délais plus longs, J+3/4. Résultat : l'une de nos plateformes en France a immédiatement été impactée."

Un secteur contraint par les coûts français

Le secteur transport-logistique représente 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit 10 % du PIB national en 2021, selon le Ministère de la Transition écologique. Une étude d'OPCO Mobilités de 2024, menée avec le Ministère du Travail, indique que plus de 8 entreprises sur 10 jugent probable une conjoncture économique favorable pour le secteur.

Toutefois, comme le rappelle Vincent Ricci, le coût du travail en France rend la production logistique plus onéreuse qu'ailleurs, ce qui aggrave la concurrence avec d'autres pays. Au sein du contexte géopolitique et de la guerre commerciale déclenchée par l'actuel président des États-Unis, Donald Trump, Vincent Ricci affirme qu'il n'est pas impossible que ces acteurs asiatiques relocalisent leurs stocks directement dans les pays de l'UE, pour optimiser leurs coûts de production logistique - au détriment de l'expérience client.

Depuis 2024, Temu bascule progressivement vers un modèle semi-géré : les marchands de la plateforme expédient les produits par fret maritime dans des entrepôts aux États-Unis et se chargent de la livraison depuis ces entrepôts locaux. Une stratégie qui pourrait fragiliser encore davantage les chaînes logistiques nationales.

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