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Livraisons gratuites : un mal nécessaire ?

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Qui doit payer la livraison des articles achetés sur le Web ? La question dépasse largement la dimension d'un cadeau offert à l'internaute-client. La logistique est aujourd'hui un élément stratégique de la politique commerciale et marketing de l'entreprise.

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L'ordinateur mis à part, le commerce sur Internet n'a peut être qu'une seule différence de fond avec le commerce classique : le client ne vient plus au magasin, et pour cause, les produits lui sont accessibles depuis son écran. La grande question qui demeure aujourd'hui est la suivante : qui, du client ou du fournisseur doit payer ou non la livraison de la marchandise ? On a pu constater cette année que la plupart des start-up ont sous-évalué les coûts de la logistique, quand elles n'en ont pas oublié une partie dans leurs modèles économiques. Si bien que beaucoup se retrouvent aujourd'hui avec des coûts de livraisons tellement élevés qu'il devient impossible de les répercuter sur le client final, sauf à rendre l'offre non compétitive. Résultat : certains prennent la décision courageuse d'offrir la livraison au client. Certes, cela correspond à une logique d'Internet, ou plutôt des internautes, qui veut que tout service annexe au produit acheté, doit nécessairement être offert mais, pour nombre de dotcoms, le service est l'unique moyen de se différencier de leurs concurrents. Une livraison gratuite et rapide peut être assimilée à une stratégie de fuite en avant dans la conquête du client et des parts de marché. Pour Pierre Malingrey, spécialiste de la logistique au sein de l'agence Himalaya, c'est en grande partie la négligence des créateurs d'entreprises dans la gestion de l'acheminement de la marchandise qui plombe par la suite leurs comptes d'exploitation : « Ils se sont dit que, puisque dans le commerce électronique les intermédiaires disparaissent, cela leur permet d'avoir moins de frais de fonctionnement. Mais ils ont oublié que le client ne vient plus chercher le produit dans la boutique et qu'il faut le livrer. Les économies réalisées sur l'absence des intermédiaires seront à l'avenir dépensées en logistique. » Ce pronostic s'avère d'autant plus réaliste que très souvent, les entreprises de commerce choisissent souvent des programmes logistiques haut de gamme pour séduire et fidéliser leurs futurs clients. Elles promettent, entre autres, des livraisons sur rendez-vous avec un créneau horaire précis. Cela marche, à la rigueur, quand il y a trois colis par jour à livrer dans Paris. Mais, dès que le volume augmente, il faut alors faire appel à un prestataire et, dès lors, l'addition se corse. « Les responsables des sites ne comprennent pas comment marche une tournée de livraison, constate Pierre Malingrey. Le faire sur rendez-vous coûte cher, il faut prévoir 80 francs uniquement pour la livraison, 100 francs avec préparation de la commande. Comment allez-vous le faire sur un panier moyen de 250 francs ? Ce n'est pas possible en dessous de 500 francs, et encore ! Dans ce cas, comptez un coût de logistique égal à 20 %. »

Comment définir une stratégie en matière de logistique ?


Pour une commande faible, panier inférieur à 300 francs, on choisira la livraison par la Poste. Colissimo est un bon produit, payer 30 francs sur l'acheminement d'un panier de 200 à 300 francs, livré à 24 ou 48 heures en France, est un bon rapport qualité-prix. Et, quand le panier dépasse cette taille, on peut commencer à définir sa stratégie logistique comme on définit sa stratégie marketing, en fonction du profil de sa cible. La logistique permet la différenciation entre les gammes, offre le choix de ne pas mettre tout le monde ensemble. C'est un critère qui, naturellement, n'existait pas dans le commerce traditionnel. Et la VPC classique développait plus souvent une approche industrielle et uniforme des transports. A titre de comparaison, les Trois Suisses livrent 300 000 colis par jour. Il n'y a pas un site de commerce électronique, sinon peut-être la Fnac, à faire plus de 200 colis par jour. Or, les possibilités de différenciation à la livraison sont assez nombreuses : à domicile, à domicile sur rendez-vous pour respecter la chaîne du froid, dans un relais, avec avis de passage à domicile et retrait à la Poste, livraison accompagnée de montage pour le mobilier, avec enlèvement de l'ancien matériel... Les coûts et les délais varient, ce qui permet à Pierre Malingrey de parler d'une stratégie opposant les délais aux prix de livraison : « La réponse à chaque instant doit suivre la stratégie commerciale de l'entreprise. Ce débat paraît technique, mais dans le fond, c'est un débat marketing sur le positionnement des gammes de produits. En gros, plus long égal moins cher. Si mon fond de commerce est de vendre des économies sur le produit lui-même, je vais aussi vendre des économies sur la logistique. La logistique est la déclinaison du positionnement marketing. » Trois critères rentrent essentiellement dans la définition des options logistiques : le profil de la clientèle, le panier moyen et la marge réalisée. Le client qui achète un ordinateur discount, acceptera une livraison à sept ou dix jours. Le client qui achète un ordinateur haut de gamme pour son entreprise est prêt à choisir une livraison rapide et chère. La livraison rapide doit être réservée au commerce alimentaire et au positionnement de luxe. Par exemple, la vente à distance des logiciels. Le panier moyen de 2 000 francs génère une marge confortable. On peut donc s'offrir une prestation haut de gamme, comme une livraison en quatre heures sur Paris, par le prestataire E-liko.

L'investissement dans la logistique, un plus pour la valeur financière de l'entreprise


Les cybermarchés aussi pratiquent la livraison sur rendez-vous, avec un créneau horaire précis. Ont-ils vraiment le choix ? Le commerce électronique à destination du grand public est une entreprise difficile. Le panier moyen est grand, lourd, volumineux. Les livreurs ne peuvent pas repasser deux fois. D'autant moins quand il s'agit des surgelés. Sur un panier moyen de 1 200 francs, un supermarché en ligne facture la livraison au client entre 50 et 80 francs. Le coût réel pour lui est de 120 à 150 francs, pour l'ensemble colisage-transport-livraison. Les cybermarchés doivent perdre de l'argent dessus. Pourquoi le font-ils ? Leur objectif est la valorisation boursière par la prise des parts du marché. Donc l'investissement dans la logistique est un investissement dans la valeur financière de l'entreprise. Dans la vente de mobilier, le panier moyen est important ce qui permet une logistique confortable, et aussi le choix des options pour le client. Un meuble pas cher est à monter par lui-même, mais un mobilier cher sera monté et installé chez lui. La déclinaison des livraisons tiendra compte du caractère de la cible. Dans le commerce à destination des professionnels, la logistique est plus facile car le personnel est là aux heures fixes et il y a toujours quelqu'un à l'accueil. A destination du grand public, c'est beaucoup plus compliqué. Il faut livrer sur rendez-vous, respecter l'heure précise, trouver l'adresse, connaître le code de la porte - dans le domaine de la logistique cela s'appelle "la problématique du dernier kilomètre". Les délais de livraison sont une autre variable forte. La Redoute avec sa prestation "48 heures chrono" a prouvé que la livraison est un argument de réussite pour la VPC. Le commerce sur le Web à ses débuts visait des populations CSP+, urbaines, parisiennes, qui demandaient une livraison immédiate. Cette situation est en train d'évoluer. « Demain, le commerce électronique visera une population plus démocratisée. Tous les internautes ne vont pas privilégier la livraison rapide. Je pense que pour les budgets moyens, La Poste avec Colissimo a de grands atouts pour le futur commerce de masse », estime Pierre Malingrey. La gratuité des livraisons est un sujet de débat. Ceux qui la pratiquent, c'est-à-dire une grande partie des entrepreneurs sur le Web, la trouvent aussi aberrante et antiéconomique. Mais aucun d'entre eux n'est prêt à décider une mesure impopulaire et à facturer le coût des transports. Pour la bonne raison que personne ne veut prendre le risque de devenir moins compétitif que les concurrents. D'un autre côté, que l'entreprise déduise le coût de la livraison de sa marge ne change rien à la démarche : elle perçoit cet argent du consommateur. L'internaute peut-il l'ignorer ? On en doute.

L'internaute continue de comparer le prix des produits entre le Web et les magasins


On peut aussi comparer cette situation avec celle de la monétique. La généralisation du paiement sécurisé par carte bancaire a amené des commissions de 2 à 3 % de la transaction, sinon plus. Cela représente des montants non négligeables. Tout le monde supporte ces coûts supplémentaires, mais rares sont ceux qui osent les refacturer au client final. L'absence apparente de facturation de transport ne change pas grand-chose, sinon les plafonds "psychologiques" des prix des produits, les rendant difficilement comparables d'un site à l'autre. L'intégration du coût de la livraison dans les prix permet aux commerçants sur le Web de proposer les produits aux tarifs des magasins classiques, mais livrés à domicile. Un argument séduisant. C'est le minimum quand on cherche à capter l'internaute qui n'a pas perdu l'habitude de faire les magasins et de comparer les prix avec ceux sur Internet.

Vers un partage des coûts entre l'internaute et le cybermarchand ?


La présence d'un coût de livraison distinct, jugé à terme inévitable, induira une facturation au consommateur. Dans quelle proportion ? Voilà une question embarrassante. « Le consommateur est prêt à régler jusqu'à 8 ou 10 % de plus sur le prix d'achat, pour le transport », affirme Pierre Malingrey. Ce chiffre - 10 % de plus - a déjà fait école. Nul ne peut affirmer que le coût réel de la livraison rentrera dans cette fourchette. Surtout dans les secteurs à forte concurrence, comme les cassettes vidéo en location ou les repas livrés à domicile. Ici la rapidité nécessaire impose des coûts de livraison unitaires considérables en rapport avec le panier moyen. Et les prestataires du commerce classique, Pizza Hut et consorts, ont depuis longtemps habitué le client à la gratuité. On peut donc espérer au mieux, un partage des coûts de la livraison entre l'internaute et le commerçant, avec une part "cachée", supportée par l'entreprise. La formule souvent évoquée est de 50-50. En faisant supporter aux clients un surcoût de transport égal à 8 % de la commande, on pourrait consacrer jusqu'à 16 % à la logistique. Ce qui permettrait d'apporter de la valeur ajoutée sous forme de prestations de livraison séduisantes à destination du grand public. Reste à savoir si le consommateur final va accepter ce partage "fraternel". Pour l'instant, les avis sur la question sont aussi fortement partagés.

Cas pratique Matelsom : « Nous ne pouvons pas être les seuls à facturer la livraison »


Matelsom vend de la literie sur le Web. L'entreprise offre aux clients parisiens la livraison gratuite le soir de la commande, avec le montage à l'étage et le débarras de l'ancienne literie. En province, la même prestation est facturée entre 190 et 300 F. « La livraison est notre atout commercial, explique Emery Jacquillat, gérant de Matelsom. Pour vendre à distance, il faut apporter plus que le commerce traditionnel. Notre coeur de cible sont les jeunes actifs urbains. Jeunes parce qu'ils ont moins d'appréhension pour acheter à distance. Actifs parce que les deux conjoints travaillent et n'ont pas de temps à perdre dans les magasins. Urbains parce qu'ils n'ont pas toujours une voiture et ne veulent pas passer des heures dans les transports en commun. » La gratuité de la livraison est un investissement psychologique. Dans ce mode de vente, le bouche à oreille compte beaucoup pour se faire connaître. Or, la livraison est chronologiquement le dernier contact entre Matelsom et le client. Sa qualité est très importante pour que le client garde une image positive de l'entreprise. « Beaucoup de gens considèrent la livraison comme un service nécessairement offert, poursuit Emery Jacquillat. Nous le faisons sur Paris. Tout le monde choisit la formule avec débarras de l'ancienne literie gratuitement. En province, c'est différent, les gens sont plus disponibles pour participer eux-mêmes. La gratuité à Paris est une habitude. Nous voudrions bien faire payer la livraison. Mais dans une situation de concurrence, nous ne pouvons pas nous permettre d'être les seuls à facturer cette prestation. » Au domicile du client, la prestation de livraison dure jusqu'à une demi-heure. Les livreurs doivent monter le lit, le déballer, faire remplir les documents pour le paiement, débarrasser l'ancienne literie. En ajoutant le temps du transport, on obtient un coût à l'opération qui aura du mal à rentrer dans les tarifs affichés. Sur Paris, l'entreprise a intégré le circuit logistique pour réduire ses frais.

Cas pratique BlackOrange : « Les professionnels paient pour les particuliers »


BlackOrange livre les logiciels en moins de quatre heures sur Paris et sa région avec un créneau horaire de deux heures, en vingt-quatre heures sur le reste de la France. Son panier moyen est de 400 F pour le grand public et de 4 000 F sur le marché des entreprises. Ce dernier représente 20 % du volume des commandes mais pèse pour 70 % dans le chiffre d'affaires. L'équilibre entre les deux marchés permet à l'entreprise de s'offrir une prestation logistique avec E-liko, qui lui coûte entre 60 et 80 F par colis. « Sur Internet, l'offre commerciale est plus facilement comparable qu'ailleurs, pense Francis Lelong, P-dg de BlackOrange. La livraison est notre valeur ajoutée différenciante. Nous avons fait de la logistique un argument concurrentiel, par la mise en place d'un système d'information avec des liens vers le prestataire logistique. » La livraison est facturée un franc, pour le principe. « En fait la logistique est offerte, commente Francis Lelong. Quand nous livrons pour 300 F chez un particulier, toute la marge passe dans le transport. Mais dans l'ensemble, entreprises et particuliers confondus, ce système est rentable. Ce sont les professionnels qui paient pour les particuliers. Nous maintenons ce mécanisme car les coûts de recrutement des clients sur notre marché augmentent. Développer la clientèle, c'est investir en vue d'une valorisation boursière. Nous pensons que recruter avec l'argument d'une livraison rapide, est mieux et surtout moins cher que de payer des pages de pub. » Le cas de BlackOrange est assez exceptionnel par cette assise sur les deux marchés, grand public et professionnel, à la fois. Son modèle serait difficilement applicable dans une entreprise qui s'adresse uniquement aux particuliers.

 
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Alexis Nekrassov

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