[Tribune] Droit des plateformes: quelles nouvelles obligations?
En Europe, 42% des PME auraient recours à des marketplaces pour commercialiser leurs produits et leurs services. Rien qu'en France, les plateformes d'intermédiation seraient au moins 7000, tous types d'activités confondus, selon l'avocate Anne Cousin.
Je m'abonneSi leu rôle des plateformes d'intermédiation dans le développement de l'entrepreneuriat et de l'innovation est incontestable, leurs pratiques sont parfois pointées du doigt comme étant abusives ou déséquilibrées en leur faveur. Le Règlement européen "platform to business", publié le 25 juillet 2019, qui sera applicable à partir du 12 juillet 2020 partout en Europe, a précisément pour objectif de promouvoir l'équité et la transparence et de rétablir l'équilibre. Pour cela, il dicte largement le contenu des conditions générales proposées par la plateforme et prévoit des sanctions draconiennes.
Quel impact sur les conditions générales?
Les nouvelles obligations prévues par le règlement concernent toutes les plateformes de commerce électronique, les moteurs de recherche, les boutiques d'applications, les réseaux sociaux et les comparateurs de prix. Son champ d'application est donc extrêmement large. Tous ces acteurs devront, le 12 juillet 2020 au plus tard, refondre en profondeur l'ensemble de leurs conditions générales.
Ces conditions générales devront tout d'abord être rendues facilement accessibles (donc être publiées en ligne) à toutes les étapes de la relation commerciale, et même au cours de la phase précontractuelle. Elles devront ensuite être rédigées de manière claire et compréhensible. Finies les formulations juridiquement obscures. La pédagogie est de mise. L'entreprise vendeuse doit savoir à quoi elle s'engage à l'égard de la plateforme. Les conditions générales devront également prévoir de nouvelles dispositions concernant: les conditions de leur résiliation et de leur suspension, les autres canaux de distribution par lesquels les plateformes commercialisent les biens et les services des entreprises utilisatrices, tout traitement différencié qui pourrait être accordé à certaines d'entre elles ainsi que les modalités d'accès aux données personnelles des entreprises et des consommateurs.
Lire aussi : L'avenir du SEO à l'ère de l'IA en 2025
Par ailleurs, il ne sera plus possible d'imposer sans préavis la modification des conditions générales aux partenaires. Le Règlement met donc fin à une pratique très répandue et très préjudiciable aux entreprises. Un préavis "raisonnable et proportionné" devra nécessairement être respecté avant toute modification, permettant à l'entreprise utilisatrice de se désengager si elle le souhaite.
Les marketplaces et les moteurs de recherche devront aussi indiquer les principaux paramètres utilisés pour classer les biens et les services sur leur site, les accords particuliers qui seraient conclus par la plateforme et qui seraient de nature à influencer le classement telles que le versement de rémunérations. Il sera également désormais interdit aux plateformes de résilier leurs relations contractuelles avec les entreprises utilisatrices sans leur notifier les motifs de la rupture et elles devront leur accorder un certain préavis, sauf dans le cas de manquements répétés aux conditions générales.
La gestion des litiges
Toutes les plateformes d'intermédiation, sauf celles qui emploient moins de 50 salariés et réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 10 millions d'euros, devront aussi mettre en place un système interne de traitement des plaintes. Ce système sera impérativement gratuit et la gestion des plaintes devra intervenir dans un délai raisonnable. Les plateformes devront également faire connaître les coordonnées des médiateurs avec lesquels elles sont prêtes à prendre contact en vue de parvenir à un accord en cas de litige avec une entreprise utilisatrice.
Conséquences en cas de conditions générales non conformes
Le règlement impose donc un certain contenu aux conditions générales, étend l'obligation d'information des plateformes et promeut vigoureusement la solution amiable des différends. Il impose donc indiscutablement de revoir en profondeur les divers contrats proposés aujourd'hui par de nombreuses plateformes d'intermédiation.
Or, les conséquences du non-respect du nouveau règlement sont particulièrement lourdes puisque la nullité du contrat est encourue. En outre, une condamnation à des dommages intérêts ou des amendes pour déséquilibre significatif sont susceptibles d'être prononcées, sur le fondement du Code de commerce, comme ce fut le cas dans l'affaire Amazon tranchée par le Tribunal de commerce de Paris le 2 septembre dernier et qui a l'a condamnée à hauteur de 4 millions d'euros. Ce texte européen étant un Règlement, aucune loi de transposition nationale n'est nécessaire à son application. Les plateformes disposent donc de 9 mois environ pour en prendre toute la mesure et s'adapter.