[Tribune] Google à l'épreuve du droit de la concurrence
Alors que le géant californien ne semblait jusque-là pas connaître d'obstacle à sa croissance et voué à poursuivre son expansion sur différents marchés numériques, les différentes autorités de concurrence et régulateurs à travers le monde pourraient constituer un obstacle à sa stratégie.
Je m'abonneLa position de quasi-monopole de Google sur le marché des moteurs de recherche a permis à l'entreprise de dégager de confortables revenus publicitaires. Mais Google semble désormais attaqué de toute part par les autorités de concurrence à travers le monde, alors que les régulateurs cherchent à se doter de nouveaux outils contre les plateformes numériques.
C'est en particulier en Europe que l'entreprise a été la plus lourdement sanctionnée à ce jour. Condamné pour la première fois par la Commission européenne en 2017 à une amende de 2,42 milliards d'euros dans l'affaire Google Shopping, puis à 4,3 milliards d'euros dans l'affaire Android en 2018, la dernière décision en date concerne le service AdSense avec le prononcé d'une amende d'un montant de 1,49 milliard d'euros en 2019.
Ces poursuites se déclinent également à l'échelle des États membres, notamment l'Allemagne qui a récemment adopté une nouvelle législation visant les entreprises détenant une "importance significative" pour la concurrence et a ouvert trois enquêtes contre Google. La nouvelle disposition du droit allemand comprend une liste de pratiques pouvant être interdites si elles sont mises en oeuvre par une entreprise ayant une importance primordiale pour la concurrence. Le Royaume-Uni accorde également une attention particulière à l'entreprise. Une enquête menée par l'autorité britannique concernant la suppression des cookies tiers sur Google Chrome a conduit Google à proposer des engagements qui doivent encore être validés par le régulateur. Le 15 juin, une étude de marché a été initiée pour analyser la situation dans le domaine des écosystèmes mobiles, après avoir fait le constat que Google et Apple y détenaient un "duopole". En Italie, Google a écopé d'une amende de 100 millions d'euros pour avoir empêché l'interopérabilité d'une application avec son système Android Auto, alors qu'une enquête initiée en octobre 2019 sur ses services publicitaires se poursuit.
L'Autorité de la concurrence française n'est pas en reste.
Après avoir prononcé des mesures conservatoires imposant à Google de négocier avec les éditeurs de presse, en application de la directive européenne sur les droits voisins, l'Autorité envisagerait une nouvelle condamnation de l'entreprise pour ne pas avoir mené ces négociations de bonne foi. Concernant les marchés publicitaires, l'Autorité a récemment infligé une amende de 220 millions d'euros à Google pour avoir favorisé ses propres services. Selon, Isabelle de Silva (présidente de l'Autorité de la concurrence), il s'agit de la "première décision au monde se penchant sur les processus algorithmiques complexes d'enchères par lesquels fonctionne la publicité en ligne "display"". C'est aussi un rare exemple, au regard du nombre de procédures à l'encontre de Google à travers le monde, dans lequel l'entreprise a accepté de reconnaître les faits pour transiger.
Cette décision pourrait mener la voie à une décision d'un autre régulateur, au niveau européen cette fois-ci. Quelques jours après la décision de l'autorité française, la Commission a annoncé l'ouverture d'une enquête formelle contre Google, pour des pratiques concernant ses services publicitaires. La Commission craignant que Google ne fausse la concurrence en limitant l'accès de tiers aux données publicitaires des utilisateurs sur des sites web et des applications, tout en réservant ces données pour son propre usage.
Aux États-Unis, où Google a longtemps semblé à l'abri de telles poursuites et où les autorités européennes étaient parfois taxées d'acharnement, l'entreprise fait l'objet de plusieurs procédures parallèles. L'une au niveau fédéral conduite par le Department of Justice qui accuse l'entreprise de détenir un "monopole illégal" sur la recherche et la publicité en ligne, et deux autres menées par des coalitions de respectivement 38 et 10 procureurs généraux d'Etats. Des affaires sont aussi en cours en Chine et en Corée du Sud.
Si toutes ces procédures débouchent souvent sur le prononcé d'amendes significatives, il apparaît néanmoins que le droit de la concurrence traditionnel ne puisse à lui seul encadrer de manière pérenne les pratiques et à rectifier la structure des marchés numériques. Certaines critiques estiment que les autorités de concurrence agissent souvent en réaction par rapport à des pratiques déjà anciennes par rapport au rythme de développement de ces marchés et qu'une régulation plus pro-active serait nécessaire. Afin de s'attaquer aux difficultés structurelles soulevées sur ces marchés en constante évolution, un nouvel outil de régulation a ainsi été proposé au plan européen. La proposition par le Parlement européen le 15 décembre 2020 d'un Digital Market Act au côté du Digital Service Act constitue le jalon de la stratégie de régulation de l'espace numérique européen. Le texte propose d'identifier des entreprises ayant un statut de "gatekeepers", auxquelles il sera possible d'appliquer une liste d'obligations et d'interdictions nouvelles. Le texte, conçu pour viser les plateformes du numérique devrait fortement encadrer le comportement de ces entreprises et réserve la possibilité, dans les cas plus extrêmes, de prendre des mesures structurelles.