[Tribune] Pourquoi les digitally native vertical brands fascinent
Le marché du retail se transforme, et les digitally native vertical brands n'y sont pas pour rien. Un phénomène qu'il est important de prendre en compte dans la stratégie globale des acteurs du retail pour y faire face et en tirer de nouvelles opportunités.
Je m'abonneFin novembre était annoncée la prise de participation majoritaire du géant Coty dans Kylie Cosmetics, jeune marque de la célébrité Kylie Jenner, pour 600 millions de dollars. Une actualité qui illustre parfaitement les mouvements du marché du retail actuel, et qui cristallise à elle seule la grande question que devrait se poser tout retailer aujourd'hui: comment se positionner face aux DNVB qui, depuis quelques années, questionnent et mettent en échec le retail traditionnel?
Pour répondre à cette question il s'agit de comprendre les forces de ces ovnis du retail - mais aussi et surtout les défis qui les attendent. Car les DNVB ont leurs propres défis à relever: faible rentabilité, difficulté à passer à l'échelle supérieure, leurs limites sont nombreuses.
Tout d'abord, la singularité des DNVB peut s'analyser sous trois prismes:
- Digitally native, ces marques sont nées sur Internet, certes, mais elles sont bien plus qu'une énième boutique e-commerce. Elles maîtrisent le numérique des réseaux sociaux aux données clients, en passant par leurs propres solutions technologiques. Glossier en est la parfaite illustration. Chef de file des DNVB à succès, l'entreprise est composée à 40% de profils tech-pour vendre des cosmétiques;
?Vertical, non seulement elles se lancent en capitalisant généralement sur une seule ligne de produits pour fournir "le meilleur" de cette catégorie-là, elles sont verticales dans leur chaîne de valeur, la maîtrisant en totalité, leur garantissant un contrôle sur le produit et ses standards, une meilleure agilité et relation directe avec leurs clients;
?Brand, c'est là que les DNVB sont le plus remarquables: leur capacité à créer un engouement réel autour de leur marque par un travail de storytelling, une obsession de la centricité client et la création d'une communauté. Cette dernière est fédérée autour de valeurs communes et un lifestyle partagé, permettant à la DNVB de très vite atteindre une base forte de clients. La capacité à créer une communauté est devenue le nouveau MVP (minimal viable product).
Les DNVB ouvrent des magasins pour grandir...
Des purs produits du numérique, les DNVB sont déjà en train d'atteindre les limites de leur modèle. Si le CEO de Everlane professait dans le New York Times en 2014 qu'il "verrait sa marque mourir avant qu'elle ne pénètre l'espace physique", aujourd'hui plus de 1700 boutiques aux États-Unis sont opérées par des DNVB-dont Everlane. C'est que, si elles excellent dans le lancement de leur marque et la création de valeur online, elles peinent à passer à l'échelle supérieure en restant sur leur modèle. Une fois leur première communauté touchée, certes de façon fulgurante, les DNVB faire face à de réelles difficultés à acquérir au-delà. Les coûts d'acquisition online pour étendre leur communauté ont en effet augmenté de façon critique ces dernières années - 17 fois pour les Facebook Ads depuis 2011 - et il devient de plus en plus difficile de se démarquer sur un terrain devenu hyper concurrentiel.
Ajoutons à cela que 90% des achats globaux se passent encore offline (étude Xerfi), et on comprend aisément pourquoi les DNVB investissent aussi massivement l'espace physique aujourd'hui. L'ouverture de boutiques physiques leur permettent d'atteindre de nouvelles cibles, et devient leur meilleur levier d'acquisition client. Cette stratégie physique a aidé les DNVB qui s'y sont lancé à accroître leurs ventes... online - avec une augmentation de 40% du trafic sur leur site en ligne (selon un étude ICSC). C'est ce que l'International Council of Shopping Centers nomment le halo effect: les ventes d'un canal (offline) qui accélèrent celles d'un autre (online).
...centrés sur l'expérience plutôt que la vente de produit
Mais le retail physique à la sauce DNVB a très peu, voire rien, en commun avec le retail physique traditionnel. La boutique passe de point de vente à "point d'acquisition client", où l'objectif principal devient moins de vendre que d'étendre et fidéliser la communauté qui fait la force d'une DNVB. Le coeur de la boutique n'est plus le produit, mais le client. Et les impacts opérationnels sur la boutique sont évidents, notamment en termes de gestion du stock, qui devient quasiment inexistant, les ventes étant poussées en ligne.
Parce qu'elles chamboulent et remettent ainsi en question certains des piliers du retail classique - allant jusqu'à questionner les KPI d'une boutique - mais aussi parce que leur attractivité et le niveau d'engagement qu'elles génèrent bat des records, les DNVB fascinent et font trembler le retail traditionnel. À tort. Car s'il est vrai que les DNVB ont compris et mettent en place des mécaniques nouvelles dont les grands retailers auraient raison de s'inspirer au plus vite, elles ont elles-mêmes besoin des ressources des grands groupes. Pour changer d'échelle, les DNVB doivent être épaulées. Et les synergies se font de plus en plus courantes - LVMH et Fenty Beauty, Shiseido et Drunk Elephant ou les partenariats comme Le Slip Français et Monoprix. pour n'en citer qu'eux.
Elina Gaillard est Lead Analyst chez Fabernovel. Elle a auparavant travaillé comme chercheuse au sein de think tanks d'innovation au Royaume-Uni et aux Pays-Bas sur des questions d'entrepreneuriat, d'écosystèmes d'innovation et de leviers de croissance. Parallèlement, Elina a cofondé une start-up sociale, Vilina Knitwear - des mitaines et des chaussettes faites à la main par des maîtres artisans en Lettonie. Elina a suivi un graduate programme en retail, qu'elle a poursuivi avec la gestion d'une équipe de ventes non-food dans la plus grande chaîne de retail des Pays Baltes et de la Scandinavie - ICA/ Rimi Baltic.