Jared Simon, co-fondateur, Hotel Tonight : "Notre modèle est solide et nous l'avons démontré à de multiples reprises"
En déplacement en Europe, Jared Simon, co-fondateur de l'application Hotel Tonight et Amir Segall, VP International, reviennent sur la stratégie d'expansion mondiale de la société, et dévoilent leur vision du marché. Interview croisée.
Je m'abonneVous venez d'ouvrir des bureaux en France. Pourquoi l'hexagone et plus généralement l'Europe, sont importants dans la stratégie d'expansion d'Hotel Tonight ?
Amir Segall, VP international, Hotel Tonight : Cela fait deux ans déjà qu'Hotel Tonight existe en Europe car c'est une destination très prisée et riche d'opportunités en termes de tourisme à travers le monde. Pour autant, jusqu'à présent, tout était piloté depuis notre bureau londonien. Le bureau que nous venons d'ouvrir à Paris gèrera la France mais aussi le Maroc, que nous avons lancé au mois de mars dernier. D'ailleurs, depuis l'ouverture de Paris, nous avons doublé notre activité en France et prévoyons de la tripler en 2015. Par ailleurs, le bureau de Londres continue à gérer le marché UK, Irlande, Italie et Espagne. Le bureau berlinois gère l'activité dans les pays germanophones, comprenant l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse, le Benelux et toute l'Europe de l'est, y compris la Russie que nous venons de lancer. Enfin, le bureau de Sydney gère l'Australie, et l'office installé à Toronto s'occupe de tout le canada.
Comment se sont opérés les choix d'implantation de vos bureaux à travers le monde ?
A.S : Notre objectif est d'être présents dans toutes les destinations susceptibles d'intéresser nos utilisateurs. A la fois les utilisateurs locaux et ceux ayant pour projet de voyager. Par exemple, en France, certaines villes vont intéresser les étrangers en voyage sur le sol hexagonal, et d'autres villes vont davantage intéresser les Français.
Sur chaque marché que nous adressons, nous travaillons ces deux dimensions. En tant qu'entreprise 100% mobile, nous savons très bien à quel endroit nos utilisateurs se trouvent lorsqu'ils se connectent à notre application, ce qui nous permet d'adapter nos offres, en fonction de cette remontée de données. Par ailleurs, cela permet aussi à nos hôtels partenaires de cibler les mobinautes à qui ils vont proposer des réductions tarifaires. Cela peut être les individus se situant autour de l'hôtel mais aussi par exemple ceux qui se trouvent à Moscou et dont la recherche porte sur les hôtels parisiens.
Au départ, l'application ne proposait que trois offres quotidiennes. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Jared Simon, co-fondateur, Hotel Tonight : En effet, nous avons commencé avec trois offres commerciales par jour, c'était les débuts d'Hotel Tonight, et pour être honnête, j'ai moi même du mal à me souvenir de cette période. Ceci dit, nous voulions que l'expérience utilisateur soit la plus simple et fluide possible. Mais à l'époque, c'est-à-dire en 2011, nous n'avions pas beaucoup d'hôtels partenaires donc nous étions concentrés sur la volonté de délivrer une bonne expérience à la fois pour les hôteliers et les clients.
Mais en grandissant nous avons compris que trois offres hôtelières quotidiennes pour une ville aussi grande que Paris par exemple, s'inscrivait dans une proposition de choix trop limitée. Donc nous avons procédé à un découpage des villes par quartier, et avons proposé plusieurs offres par quartier, ce qui correspond davantage à la proposition de valeur que nous voulons apporter chez Hotel Tonight. Aujourd'hui, au global, notre application met en avant chaque jour entre 10 et 15 offres commerciales différentes, réparties de manière non uniformes au sein des différents quartiers identifiés dans chaque ville.
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Vous avez récemment élargi votre offre de réservation de dernière minute en lançant une fonctionnalité permettant de réserver jusqu'à 7 jours à l'avance. Pourquoi un tel choix ?
J.S : Nous nous sommes toujours considérés comme une application de réservation de chambre d'hôtels à la dernière minute, c'est ainsi que nous nous définissons. Lorsque nous avons décidé de lancer la société et de travailler sur ce modèle, il n'y avait aucun précédent, nous étions les premiers, donc nous n'avions absolument aucun modèle d'inspiration ou de comparaison. Nous avons donc du décider nous-mêmes de ce que recouvrait la notion de " dernière minute ". Nous l'avons structuré autour de l'idée de réservation pour le soir même.
"Nous avons du décider nous-mêmes de ce que recouvrait la notion de " dernière minute ""
Toutefois, ces deux dernières années, nous avons appris que si nos clients américains considèrent la notion de dernière minute comme une réservation pour le jour même, cela n'était pas le cas pour le reste du monde, qui en avait une perception bien plus large. Concrètement, cela allait de trois à sept jours avant l'arrivée à l'hôtel. Après réflexion, nous nous sommes aperçus de notre capacité à proposer cette nouvelle option, sans modifier l'interface de l'appli, ni dégrader l'expérience utilisateur. Voilà pourquoi nous nous sommes lancés.
Une telle initiative n'ouvre-t-elle pas la voie à davantage de concurrence ?
J.S : Clairement non, pour la simple et bonne raison qu'aucune autre compagnie qu'Hotel Tonight n'est autant concentrée sur le développement d'une expérience qualitative de réservation de dernière minute 100% mobile. Et la valeur d'usage que nous tentons de délivrer à nos clients est très différente de ce que proposent les autres sociétés. Pour autant, je pense que la limite de réservation d'une chambre d'hôtel, pour nous, se situe à sept jours, car dès lors, en effet, nous prendrions le risque d'entrer sur le territoire de nouveaux concurrents, qui ont de très bonnes applications.
Booking.com a récemment lancé une application de réservation géolocalisée, baptisée Booking Now. Dans quelle mesure représente-t-elle une menace pour Hotel Tonight, et comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?
J.S : Booking.com dites-vous ? Jamais entendu parler... Plus sérieusement, je constate que c'est la troisième fois que booking.com essaie de développer une application capable de concurrencer Hotel Tonight. Notre première réaction est de penser que nous sommes certainement sur une bonne dynamique, pour qu'une société comme Booking dépense autant de temps, d'énergie et d'argent pour nous concurrencer. Ensuite, je pense que Booking ne peut pas proposer une expérience utilisateur aussi satisfaisante que la nôtre, car ils ne sont pas aussi focus que nous sur le mobile dans leur stratégie.
Par ailleurs, pour se lancer dans une application de réservation de dernière minute avec remises commerciales, il est vital de construire et d'entretenir une bonne relation avec les hôtels. Une relation sur du long terme, dans une logique gagnant-gagnant, et c'est un point sur lequel nous pensons être uniques. Pour être honnête, je ne pense pas que Booking soit dans cette logique. Ils sont davantage intéressés pour obtenir ce dont ils ont besoin de la part des hôtels.
Par ailleurs, à la différence d'Hotel Tonight, Booking Now n'est pas dans une logique de remises commerciales sur les chambres proposées...
J.S : En effet, et cette proposition commerciale provient non seulement du fait de la qualité de la relation que nous avons avec les hôtels, mais aussi de la nature de notre modèle, qui est de proposer peu d'offres, quotidiennement. Donc nos hôtels partenaires se sentent à l'aise avec l'idée de lancer une offre commerciale éphémère sur Hotel tonight, car cette offre n'apparaitra pas tous les jours sur l'application. Autrement dit, Hotel Tonight est un écrin pour les hôteliers pour proposer des offres discountées.
Avez-vous des données précises sur les retours clients auprès des hôteliers ?
J.S : A vraie dire, c'est un point de frustration. Car nous avons effectivement de nombreux retours des hôtels sur notre capacité à leur amener de nouveaux clients, qualifiés, qui dépensent davantage que leurs clients habituels, et qui s'avèrent être fidèles dans le temps. Mais le problème c'est que nous n'avons accès à aucune donnée chiffrée sur ce point.
Des géants de l'hôtellerie jusqu'à présent absents sur mobiles, se lance dans la réservation de chambre d'hôtels sur mobile. Le français Accor en est un exemple, et en a fait un axe clé de sa stratégie digitale. Quel regard portez-vous sur cette réalité ?
J.S : J'ai pu par le passé être inquiet de ce genre d'initiative, ou même par des compagnies comme Booking.com, mais j'ai aussi vu l'énergie qu'ils mettaient pour essayer de nous copier, sans véritablement être capables d'y parvenir. Je suis moins inquiet par l'application mobile d'Accor, non pas parce que je n'ai pas de respect pour Accor bien au contraire, mais parce que nous sommes partenaires. Je pense qu'ils ont raison de lancer leur propre application, mais elle ne représente pas une menace parce qu'elle ne poursuit pas les mêmes objectifs, et ne s'adressent pas aux mêmes clients que nous.
"Dès lors que nous choisirons d'arrêter de grandir, nous serons rentables, immédiatement"
En effet, les clients fidèles à Accor, téléchargeront naturellement l'application Accor, et ce serait difficile pour nous de nous battre contre cela. En revanche, notre application vise à présenter à Accor de nouveaux clients. C'est ce que nous faisons avec les hôtels, c'est notre rôle. Ce qui m'inquiète davantage, ce ne sont pas les grandes entreprises qui travaillent sur le secteur de l'hôtellerie, et qui sont transparentes sur leur stratégie, mais plutôt les groupes d'individus qui travaillent dans leur garage à une version améliorée d'Hotel Tonight, à laquelle nous n'aurions pas pensé et qui ferait un meilleur travail que nous. C'est la raison pour laquelle je questionne en permanence mes équipes sur ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons de cette manière, avons-nous raison de le faire ainsi, et comment nous pouvons améliorer Hotel Tonight. Notre responsabilité se trouve là.
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Vous avez levé 80 millions de dollars depuis l'existence d'Hotel Tonight. Doit-on s'attendre à d'autres levées de fonds ? Êtes-vous parvenus à être rentables ?
J.S : Notre ambition est de devenir le modèle dominant de la réservation de chambre d'hôtels depuis les mobiles. C'est une grande ambition surtout si l'on estime qu'une grande partie du e-commerce devient mobile, et que le mobile est la source numéro une de la réservation de chambre d'hôtels. Notre manière d'envisager les levées de fonds s'inscrit dans une logique opportuniste. Si une opportunité se présente, pouvant nous permettre d'atteindre notre objectif plus rapidement, alors nous ferons tout ce qu'il est possible de faire pour y parvenir.
Sur le deuxième point, pour être honnête, nous ne sommes pas rentables. C'est un choix, difficile, que nous réévaluons régulièrement. Mais nos investisseurs nous soutiennent et croient en notre vision, c'est une chance. Nous pourrions être rentables et nous voulons l'être, d'ailleurs c'est déjà le cas depuis longtemps à l'échelle de certaines villes comme New York ou Londres. Mais dans notre objectif d'expansion rapide et mondiale dans lequel nous nous inscrivons, nous choisissons de réinvestir systématiquement le profit généré, afin de continuer à grandir vite. Nous n'en sommes qu'aux débuts et la marge de progression est encore très importante. Dès lors que nous choisirons d'arrêter de grandir, nous serons rentables. Non pas rapidement, mais immédiatement. Notre modèle économique reposant sur une commission de 15% prélevée sur chaque chambre d'hôtel payée, est solide et nous l'avons démontré à de multiples reprises.