Plan d'action pour renforcer la compétitivité de la filière logistique
Créer un big bang dans la logistique en proposant des pistes de réflexion pour faire remonter la filière française dans le top 10 mondial. C'est à ce vaste défi que s'est attelé le rapport Daher et Hémar, remis le 16 septembre au gouvernement. Morceaux choisis.
Je m'abonneOn ne cesse de le répéter, le retail connecté bouscule les codes: réseaux spécialisés ou généralistes, sites marchands, marketplaces, ventes événementielles, drive-to-store... Dans cette reconfiguration du paysage de la distribution, la logistique devient encore plus stratégique. Or, dans un contexte européen hyper-concurrentiel, la filière française se révèle peu compétitive. C'est d'autant plus frustrant que le pays peut se targuer d'avoir des champions internationaux comme Geodis, ID Logistics...
Les causes de cette contre-performance? Elles sont plurielles, mais le premier constat formulé par le rapport Daher reste le manque de gouvernance en France. Trop de fédérations et d'associations, traitant chacune d'un aspect de la supply chain, sont représentées sans réelle coordination d'ensemble. D'où la demande de rassembler transporteurs, logisticiens et chargeurs dans un même organisme afin que le secteur parle d'une voix unifiée. Parallèlement, il a aussi été demandé au gouvernement de proposer un point d'entrée unique, pour renforcer le dialogue public/privé. "Cette première recommandation a été entendue puisque France Logistique(1) vient d'être créée en début d'année, ainsi que le comex, où siègent notamment les représentants de Bercy et du ministère des Transports. Un comité interministériel est également prévu dans les prochaines semaines pour prendre les premières mesures", se félicite Eric Hémar, l'un des deux auteurs du rapport, p-dg d'ID Logistics et président de l'Union TLF.
Le but étant de fluidifier les démarches: par exemple en optimisant le passage des frontières, en simplifiant les procédures pour autoriser l'implantation d'entrepôts... Ce dernier sujet est activement défendu par les e-commerçants en plein développement, tels que Vestiaire Collective. "Chaque jour, 8000 produits sont ajoutés sur notre site marchand. Nous sommes dans une logique de volume et nous voulons poursuivre notre croissance; d'où l'intérêt de simplifier les démarches. Si, à date, entre 2500 et 3000 colis arrivent chaque jour sur notre entrepôt à Tourcoing, nous comptons passer à la vitesse supérieure, ce qui nécessitera forcément plus de mètres carrés", confie Charles Bellois, chief operating officer du spécialiste de la mode d'occasion.
Une planification logistique du territoire
Qui dit mètres carrés sous-entend création d'entrepôts. Or, au premier plan des sujets qui fâchent, figure la fiscalité des actifs. "C'est un sujet majeur. L'atout français d'avoir un foncier pas cher disparaît sous la charge fiscale, déplore Eric Hémar. De plus, l'avenir reste incertain: le flou règne sur les critères prévalant pour distinguer entrepôts logistiques et locaux industriels. Nous évoluons dans un contexte de hausses de requalifications d'entrepôts, or cela entraîne des hausses d'impôts locaux. C'est très dommageable pour les entreprises." La compétitivité de la France se mesure aussi aux perspectives pour les entreprises de rester localisées en France, tout en distribuant leurs produits dans le monde. Un enjeu encore plus primordial à l'ère de l'e-commerce, du cross-border. "La logique du territoire est très importante dans notre métier de commerçant, renchérit Charles Bellois, de Vestiaire Collective. Dans notre cas, lors de notre ouverture en 2017, la métropole lilloise nous a fortement aidés à nous installer, que ce soit pour le recrutement, l'infrastructure... Il était primordial pour nous d'être présents sur ces terres qui ont un héritage très riche dans le domaine du textile et de la vente par correspondance."
La supply chain, enjeu écologique majeur
Selon le World Economic Forum, le nombre de véhicules et les volumes d'émissions polluantes devraient augmenter de près de 30% à l'horizon 2030. Une situation... irrespirable! De fait, la logistique est essentielle pour répondre aux enjeux de la transition écologique, par exemple en favorisant une organisation plus sobre. Concrètement, comment faire plus de transports massifiés dans le ferroviaire et le fluvial, qui sont les deux modes les plus vertueux comme le prouve les calculs d'Infras(2)? Les externalités négatives liées au transport de marchandises par route représentent 4,46 centimes par tonne au kilomètre, contre 2,19 centimes pour les voies fluviales et 2,04 centimes pour le rail.
Et le rapport de souligner qu'il existe des écarts allant de 1 à 5 avec les Pays-Bas et l'Allemagne, considérés comme les bons élèves en Europe. D'autre part, nos modèles économiques changent: la dynamique d'implantation d'activités industrielles dans les régions, le développement du commerce en zone urbaine (sachant que la gestion du dernier kilomètre est à la fois la plus coûteuse et la plus polluante) et l'émergence de nouvelles formes d'échanges locaux (circuits courts) appellent naturellement à l'invention de nouvelles formes de logistique. Aussi, dans une logique de décarbonisation complète, quelle logique de filière choisir? Quels véhicules éco-responsables? Avec quel type d'énergie? L'électrique? Le gaz? "Nous, professionnels, nous savons bien que la valeur des véhicules est liée à leur revente. C'est pourquoi il faut mettre en place une vraie logique de filière pour programmer ces changements dans le temps", poursuit-il.
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Toujours dans cette logique écologique, les distributeurs ayant participé à l'élaboration du rapport Daher et Hémar ont fait part de leurs interrogations concernant les entrepôts rattrapés par le périmètre urbain. Comment redonner une seconde vie à ces établissements? Cela concerne en priorité les retailers implantés depuis des décennies dans un même territoire, comme les grandes chaînes d'hypermarchés.
Redorer l'image de la logistique
L'évolution des métiers fait aussi partie des points-clés du rapport, qui réclame un accompagnement des transformations de l'emploi et des compétences. "La supply chain est complexe et étendue, avec de nouvelles fonctions nées de la robotisation, de la digitalisation... et nous avons de plus en plus besoin de gens très bien formés", souligne le dirigeant. Au fil des années, la logistique est en effet devenue un métier très professionnalisé. Et la France n'a pas à rougir de ses formations: c'est le deuxième pays d'Europe en nombre de masters spécialisés, notamment en "Retailing supply chain". Mais il persiste un déficit d'attractivité et les difficultés pour recruter demeurent bien réelles.
Reste un thème, soulevé par la filière, mais qui n'a pas été abordé par le rapport: la paralysie de l'activité de fret de la SNCF et la perturbation des ports, notamment du fait des grèves. À titre indicatif, les opérations "ports morts" ont entraîné l'annulation de 52 escales pour le seul mois de décembre. "Nous ne pensions pas, au moment de la remise du rapport le 16 septembre, que des grèves aussi importantes paralyseraient le pays, reconnaît Éric Hémar. Mais au vu des blocages et des conséquences économiques qui en ont découlé, il est clairement impossible aujourd'hui de ne pas évoquer le risque des mouvements sociaux, qui pèse drastiquement sur la compétitivité des transports français et de la "supply chain" à l'import-export."
(1) France Logistique est présidée par l'ancienne secrétaire d'État aux Transports et présidente de la RATP, Anne-Marie Idrac.
(2) Étude du cabinet de conseil suisse Infras, mandatée par l'association allemande pro-rail Allianz pro Schiene.
En chiffres
76 millions de m² d'entrepôts de plus de 5000 m².
4 grandes portes internationales: Le Havre, Marseille, Dunkerque et Roissy représentent une desserte stratégique.
Une filière majeure: 10% du PIB.
1,8 million d'emplois, soit 10% de l'emploi salarié (c'est 4 fois la filière automobile).
Source: Rapport Daher et Hémar