Christophe Desgens (Chronofresh) : "Le marché du colis frais est encore en construction"
Si l'alimentaire ne représente que 20 % des ventes en ligne en France, contre 40 % pour le retail physique, la livraison de repas et de courses s'est installée dans le quotidien des Français avec la crise sanitaire. Christophe Desgens, président de Chronofresh, nous décrit les dessous de cette logistique très particulière.
Je m'abonneComment est née l'idée de Chronofresh ?
L'alimentaire est une verticale que nous développons depuis maintenant huit ans au sein du groupe La Poste. Le projet est né de l'initiative de Paul-Marie Chavannes, ancien patron de Geopost, qui nous avait sollicités sur le fait qu'il n'existait alors pas d'offre de transport alimentaire, en dehors des spécialistes locaux du dernier kilomètre avec des zones de chalandise très courtes, souvent autour de Paris ou Lyon. Nous avons donc regardé ce qui se faisait dans le monde et avons découvert que le marché du colis alimentaire était très développé au Japon, où il représente un million de colis par jour et 7 % du marché global de la livraison. Nous avons donc étudié le travail des trois opérateurs principaux : Yamato, Sagawa et la Japan Post. Ces trois acteurs nous ont appris les facteurs qui ont permis au marché du colis de se développer au Japon, à savoir le manque de réseau de grande distribution, mais aussi le vieillissement de la population. Là-bas, les seniors se font livrer deux à trois fois par semaine des produits alimentaires sous température dirigée, en frais ou en surgelé. Le dernier paramètre est très similaire à la France : les Japonais recherchent des produits de qualité. La vente directe du producteur au consommateur - le "direct producteur" comme nous l'appelons dans le métier - est donc très développée là-bas. Après avoir étudié le marché, nous avons appris la méthode. Ce sont notamment ces acteurs japonais qui nous ont enseigné la mutualisation des flux. Ainsi, nos process sont très inspirés des leurs.
Le marché de la livraison alimentaire connaît-il un recul lié à l'inflation ?
Le marché du colis frais est encore en construction. Aujourd'hui je l'évalue à 400 millions d'euros en France, sachant que le marché du transport alimentaire au global représente 21 milliards d'euros. Nous ne sommes donc qu'une infime parcelle d'un marché énorme et en plein essor. En effet, nous enregistrons chaque année, depuis notre création en 2015, une progression entre 20 % et 30 % de notre activité. En 2023, l'inflation du prix des produits alimentaires a freiné le marché. Pour autant, nous avons constaté une croissance de notre activité entre 20 % et 25 % au début de l'année. Si nous continuons à croître de manière exponentielle, c'est notamment parce que notre business est porté à 70 % par l'e-commerce BtoC. J'ai la conviction que dans cinq à huit ans, les acheteurs professionnels porteront l'e-retail alimentaire, car aujourd'hui, des plateformes se mettent en place pour faciliter la vie des restaurateurs et commerçants. Ainsi, ils peuvent faire leurs achats de la même manière et avec la même facilité que dans leur vie personnelle. Je pense que cette évolution des usages sera un vecteur de notre croissance. De plus, nous notons un engouement qui ne se dément pas pour le "direct producteur" depuis la crise sanitaire, durant laquelle les clients ont appris à consommer de l'alimentaire en ligne. Notre arrivée sur le marché a renforcé cette tendance, car nous avons permis aux agriculteurs d'élargir leur zone de chalandise.
Comment se déroule une livraison express, activité principale de votre filiale ?
Un producteur ou un grossiste nous donne un ordre de collecte, nous allons récupérer le colis, si c'est possible nous mutualisons avec plusieurs autres livraisons. Puis nous amenons le tout dans nos agences de départ, au nombre de 80 en France actuellement. De ces hubs, nous procédons à une première consolidation "Express Standard", comme le fait par exemple Chronopost. Ensuite, nous mettons en place des liaisons d'acheminement dédiées ou mutualisées. Aujourd'hui, nous effectuons 100 liaisons dédiées par jour. Pour finir, nous concentrons notre flux vers un de nos hubs, soit en Île-de-France, soit en Rhône-Alpes, chacun possédant entre 3 000 et 4 000 m² dédiés à la température dirigée. Les colis sont alors livrés par des camions pouvant mutualiser 60 paquets.
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Quelles sont les contraintes intrinsèques à la logistique du frais ?
En France, c'est la réglementation européenne qui régit le transport alimentaire. Ce que nous appelons la maîtrise de la chaîne du froid est le fait de garantir qu'un colis allant de Lille à Marseille soit bien transporté dans un environnement régulé entre 0 °C et 4 °C, ou -18 °C pour du surgelé. Pour répondre à ces attentes légales, nous avons dû ajouter un aspect technologique à notre métier. En effet, tous nos contenants, que nous parlions des caisses et rolls isothermes ou des véhicules sous température dirigée, sont équipés de puces RFID, qui nous permettent de monitorer la température à chaque instant et de gérer des alertes, si nécessaire. De plus, lorsqu'on livre de l'alimentaire, il faut mettre en place une quantité importante de mesures sanitaires sur nos sites et dans nos véhicules, afin de garantir la conformité à la réglementation. Toute notre offre a été construite autour de ces exigences intrinsèques au frais.
Comment assurer ces obligations tout en respectant des engagements RSE ?
Il y a plusieurs sujets à prendre en compte. D'abord celui du transport, très consommateur d'énergie puisqu'il faut alimenter à la fois le moteur et le froid. Nos 500-600 camions sous température dirigée ne voyagent que dans les zones denses afin d'optimiser leurs trajets. Pour les zones rurales, notre système de caisses vient les remplacer. Là, nous mutualisons avec un véhicule standard qui peut être électrique, ce qui nous permet de limiter nos émissions de CO2. Cependant, ce n'est qu'un début, car aujourd'hui en matière de transport de froid, l'électrique n'est pas tout à fait au point. De plus, c'est très onéreux à alimenter : nous ne nous y retrouverions pas économiquement. Actuellement, nous utilisons surtout du gaz naturel pour véhicules (GNV), bien que ce ne soit pas une solution idéale. Nous nous penchons aussi sur la question du biodiesel. Au-delà des solutions pour alimenter notre flotte, nous formons nos équipes pour qu'elles aient les bons réflexes, comme celui de ne pas laisser une porte de conteneur froid ouverte. Pour notre métier, la question environnementale est un peu compliquée, mais je suis sûr que d'ici à quatre ou cinq ans, nous aurons des solutions plus performantes et viables qu'actuellement.
Les clients sont-ils plus exigeants lorsqu'ils reçoivent des produits frais ?
Lorsque nous avons lancé nos premiers services en 2015, j'ai assisté à un effet assez étonnant, les clients étaient surpris de la qualité de leurs colis frais. Aujourd'hui, après huit ans, la pratique est entrée dans les moeurs, donc les usagers ont des attentes plus fortes. Un des irritants majeurs chez les consommateurs est celui du passage infructueux. En effet, malgré l'utilisation de technologies comme Predict qui permettent de reprogrammer les livraisons, cela reste une problématique pour nombre d'e-commerçants. Mais chez Chronofresh, nous avons l'avantage que les clients attendent notre arrivée et ne la ratent presque jamais, puisque ce sont des produits frais. Si les particuliers ont des attentes clients très élevées, celles des acheteurs BtoB le sont encore davantage. Ils sont bien plus au fait des exigences en matière de chaîne du froid et de normes sanitaires, mais aussi de présentation. En effet, si un livreur rentre dans un restaurant ou un commerce en plein service à 12 h 30, cela leur ajoute une contrainte que nous devons absolument prendre en compte.
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Quels projets mettez-vous en place pour pérenniser Chronofresh ?
Nous allons continuer d'accélérer le développement de notre offre BtoB avec des plateformes spécialisées qui vont permettre aux commerçants, artisans et restaurateurs d'accéder aux achats en ligne. De plus, nous allons renforcer notre positionnement en Europe. Si aujourd'hui nous sommes plutôt présents sur des marchés domestiques, nous sommes en train de développer nos flux cross-border, entre la Belgique, les Pays Bas, la France, l'Espagne, etc. Il s'agit d'un de nos axes stratégiques majeurs. Enfin, nous co-construisons actuellement un réseau de relais avec Pickup, qui devrait voir le jour au second semestre 2024 ou durant la première moitié de 2025.
Son parcours :
1999 : Christophe Desgens entre chez Chronopost, comme chef de projet au sein de la direction des opérations.
2005 : Il met en place le réseau de relais de Chronopost. 2006 Un an plus tard, il prend la tête de la direction du support aux opérations.
2009 : Il est nommé directeur de la relation client de Chronopost.
2015 : Christophe Desgens crée la filiale Chronopostfood, en charge du développement de Chronofresh, dont il est aujourd'hui président.