Recherche

Sarah Gimenez-Fauvety, TRUSK : "En 2024, on a dépassé le million de livraisons"

Actif dans le secteur du dernier kilomètre depuis 2016, TRUSK se dédie à la livraison d'objets lourds pour les acteurs de l'ameublement, de l'électroménager, du bricolage ou du BTP. Actuellement, 50 % de ses livraisons en France sont effectuées en électrique. Sa directrice générale Sarah Gimenez-Fauvety nous présente sa vision de la logistique du dernier kilomètre en aglomération, entre obligations légales, demande des consommateurs et stratégie RSE.

Publié par Alexandre Lecouvé le | mis à jour à
Lecture
9 min
  • Imprimer
Sarah Gimenez-Fauvety, directrice générale de Trusk, photo Pressmobility
Sarah Gimenez-Fauvety, directrice générale de Trusk, photo Pressmobility
Getting your Trinity Audio player ready...

En quelques chiffres, concrètement, c'est quoi TRUSK ?

C'est un commissaire de transport spécialisé dans la livraison du dernier kilomètre pour les objets volumineux, en zone urbaine. On livre systématiquement des particuliers pour le compte de grandes enseignes dans quatre types de verticales : le mobilier, le bricolage, l'électroménager et la construction. Nous sommes particulièrement pertinents pour des clients qui ont besoin de services à valeur ajoutée, avec livraison dans la pièce de son choix, montage, mise en service... On existe depuis un peu plus de neuf ans, on s'est développé dans plusieurs grandes villes, et on est actuellement un peu plus de 180 dans la société. En 2024, on a dépassé le million de livraisons, spécifiquement pour les colis volumineux.

Dans un contexte où le secteur de la logistique du dernier kilomètre est confronté à un certain nombre de contraintes (ZFE, étalement urbain, RSE, etc.), quelles réponses apportez-vous ?

On constate effectivement que plus ça va, plus les zones urbaines sont encombrées. Il s'agit donc de les fluidifier, mais aussi de dépolluer. Sur ces sujets-là, on a plutôt pris le pli très tôt. D'abord, comme on est une boîte plutôt récente sur le marché du transport, on est rentré directement avec un prisme différent. Ensuite, en tant que commissionnaire, comme on n'avait pas nos propres camions, on a pu directement se porter sur des flottes moins polluantes. Quand on fait appel à des transporteurs partenaires (des sociétés de transport professionnel qui ont leurs propres camions), on a toujours exigé des véhicules qui avaient moins de cinq ans, Crit'Air 0, 1 ou 2. Avec ça, on a toujours eu un temps d'avance par rapport aux ZFE. Plus récemment, à partir de 2020, on a monté une filiale, "TRUSK RENTAL", qui fait de la location longue durée de véhicules électriques en six, douze et 20 m3. On a commencé par des 20 m3 électriques qu'on a ensuite loués à nos capacitaires (nos transporteurs partenaires). En 2020, il y avait peu de maturité sur le marché des véhicules électriques, ils étaient très chers, peu autonomes, et c'était compliqué pour les capacitaires de les acquérir. On a donc voulu leur mettre le pied à l'étrier en les louant directement à nos partenaires. Ça nous a permis de commencer très tôt sur les livraisons en basse émission, et aujourd'hui, on a un peu plus de cent véhicules électriques qui sont en circulation tous les jours en France, soit via TRUSK RENTAL, soit via nos capacitaires.

Comment gérez-vous l'électrification de votre parc, que ce soit en termes de taille, d'autonomie ou de recharge ? Faites vous aussi appel à des carburants "propres" ?

Concernant le gaz naturel ou les carburants à faible émission, on a essayé un peu le GNV, notamment pour certains partenaires, quand le véhicule électrique était plus complexe d'un point de vue autonomie. Mais la réalité, c'est qu'autant le GNV ou les carburants alternatifs se développent beaucoup sur les poids lourds, la longue distance ou la traction... Autant, vraiment, quand on va vers le véhicule utilitaire (6, 12, 20 m3), on constate que les constructeurs s'en détournent, il y a peu de disponibilité, donc peu de R & D, et donc peu de progrès technologiques. Nous, on préfère se concentrer sur des technologies d'avenir : sur un véhicule utilitaire léger en électrique, les évolutions sont de plus en plus incroyables d'année en année. Par exemple, quand on a démarré en 2020, les véhicules avaient maximum 100 km d'autonomie en été (quand tout allait bien) et 80 km en hiver. Maintenant, on a des véhicules qui dépassent les 300 km d'autonomie.

Par ailleurs, les bornes de charge rapide commencent à se développer autour des villes, ce qui nous permet nous d'aller livrer plus loin en province, depuis les centres-villes. On commence même à pouvoir équiper nos propres entrepôts. Notre coeur de métier est vraiment d'opérer en zone urbaine, et on a souvent affaire à des métropoles qui sont moteur dans le déploiement électrique (Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice, Lyon, etc.), avec des clients sont de plus en plus exigeants envers les pouvoirs publics en termes de demande de services et de bornes. Enfin, on a peu de bulky ou de hors gabarit (+ de 30 kg), ce qui nous permet de largement tout opérer avec une flotte qui est à 70 % sur du 20 m3 électrique.

Entre vieillissement de la population, demande de solution verte et urbanisation, les attentes des consommateurs évoluent. Comment observez-vous ces évolutions en France ?

C'est massif. Dans les consommations en magasin, quand on a commencé par certaines de nos enseignes partenaires, elles avaient des taux de "livrés", donc de taux d'achetés livrés en magasin, qui étaient très faibles, de l'ordre de 5 à 10 % maximum. Les gens, qu'est-ce qu'ils faisaient ? Ils venaient acheter en magasin, et puis ils se débrouillaient pour louer une camionnette, ou trouver un copain qui allait les dépanner pour pouvoir ramener la marchandise à la maison. Maintenant on a des taux de livrés qui ont entre doublé et triplé en cinq ans sur nos enseignes partenaires : on est plutôt entre 20 et 30 % selon les enseignes. Les consommateurs aujourd'hui veulent des services qui leur permettent de ne plus avoir à se débrouiller eux-mêmes avec ce qu'ils ont choisi pour pouvoir se faire livrer, ils veulent que l'enseigne gère ça pour eux.

Évidemment, il y a aussi le boum de l'e-commerce, qui fait que de plus en plus les gens vont soit passer en magasin et ensuite commander en ligne, soit directement commander en ligne. On s'est beaucoup développé sur ces marchés où, de toutes les manières, la marchandise est livrée avec une explosion de toutes ces demandes de livraison. Enfin, il y a le service. On observe que les gens demandent de plus en plus de la mise en service, ou du montage. À une époque, on apprenait à bricoler en grandissant, et c'est peut-être un peu moins le cas qu'avant, même s'il y a un retour vers le manuel qui est marginal. Les gens demandent du service, ils veulent que ça arrive chez eux, que ce soit prêt à l'emploi, et qu'on leur montre même comment ça fonctionne.

On pense aussi à une hausse de la demande pour plus d'immédiateté. Comment gérez-vous l'accélération des flux, la généralisation de l'express et du J+1 ?

On a grandi avec ce défi-là, on n'a pas vraiment besoin de muter pour y faire face. Au début de notre histoire, les transporteurs proposaient des livraisons dans deux semaines sur un créneau journée 8 heures-18 heures Nous, on a commencé par l'enseigne Leroy Merlin en disant : "écoutez, on vous propose de vous donner un accès à une plateforme en ligne, et quand vous commandez, vous serez livrés cet après-midi sur un créneau de 2 heures". C'est comme ça qu'on est rentré sur le marché et qu'on a pris beaucoup de volume. On a toujours été habitué à gérer, soit de l'express, soit du J+1, ce qui correspond aux attentes des consommateurs. De ce fait, on a développé en interne une vraie expertise autour des ordonnancements, c'est-à-dire la capacité à optimiser les tournées des transporteurs pour qu'elles soient les plus denses. Je sais qu'il existe des logiciels sur le marché, mais nous sommes déjà très performants là-dessus, avec dans nos équipes des mathématiciens qui ont développé des algorithmes qui permettent de gérer aussi bien du départ entrepôt, du départ magasin, des tournées en électrique et du J+0 en express.

Pour l'avenir, quelles sont les innovations logistiques que vous voyez poindre ?

Concernant les modes opératoires d'avenir, nous, on croit beaucoup au changement de mode de livraison (on parlait de l'électrique), mais on croit aussi au multimodal, et notamment à l'utilisation des fleuves pour pouvoir livrer. Dans notre cas, c'est une réalité depuis déjà deux ans, puisqu'on livre les Parisiens d'une grande enseigne de mobiliers via la Seine. On part d'un entrepôt dans lequel on optimise des tournées avec notre savoir-faire d'ordonnancement, et on charge de manière optimisée dans des caisses mobiles qui vont transiter par la Seine sur bateau avant d'être transférées à l'arrivée sur des poids lourds électriques pour aller livrer le client final. Selon nous, c'est une tendance de fond qui va s'accélérer, et on cherche donc des partenariats autour des bateaux. C'est forcément l'avenir, parce qu'on économise un nombre énorme de véhicules et de kilomètres en allant transiter par la Seine plutôt que d'encombrer des grandes villes type Paris avec des camions. C'est clairement un incontournable des années à venir.

Et en termes de gestion des flux et de la "peak season"?

L'une des caractéristiques de l'e-commerce, qui est beaucoup plus prononcée que chez les retailers, c'est que tout y marche par promotion et par période de soldes. On voit notamment d'énormes pics au moment des soldes d'été, puis une période beaucoup plus calme, puis arrive le Black Friday, qui est presque devenu la plus grosse période de l'année, puis débarquent les soldes de janvier. Dans ces périodes-là, il faut savoir s'adapter très vite, et aller jusqu'à doubler, voire tripler les volumes absorbés en une semaine. Sur un de nos entrepôts, à Wissous en région parisienne, au dernier Back Friday (29 novembre 2024), on a réussi à les tripler. Avec nos savoir-faire et notre modèle de commissionnaire, on a anticipé en échangeant dès septembre avec les enseignes sur leur volume attendu, puis en commençant à préparer les capacitaires pour augmenter notre capacité de camion. On a aussi réorganisé toutes les équipes et les sorties de quai pour que ce soit fluide, et on a ensuite absorbé ce triplement des volumes en moins d'une semaine. Avec aussi, c'est important de le dire, toute l'équipe normalement dans les bureaux qui est sur le terrain, dans les entrepôts pour aller prêter main forte aux équipes. Ce sont des moments sympas.

Sur le même thème

Voir tous les articles Interview

Livres Blancs

Voir tous les livres blancs

Vos prochains événements

Voir tous les événements

Voir tous les événements

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page