Jumia, symbole de l'Afrique connectée
La start-up Jumia, mastodonte spécialisé dans les services et la vente en ligne, livre tous les objets du quotidien en un jour, trois au maximum, dans une grande partie de l'Afrique. Analyse d'un modèle qui a permet à la jeune licorne de distancer tous ses concurrents sur un marché qui explose.
Je m'abonneTenir bon, là où CDiscount a échoué, sur un marché auquel Amazon lui-même n'a pas osé s'attaquer malgré son fort potentiel (l'e-commerce en Afrique "pourrait connaître une envolée pour culminer à 50 milliards de dollars d'ici à 2018", selon les prévisions de Deloitte(1)). C'est le pari que la jeune start-up Jumia, présentée dans les médias comme la première licorne africaine, est en passe de relever. Il y a quatre ans, Jérémy Hodara et Sacha Poignonnec lancent l'Africa Internet Group, un ensemble de neuf sites de vente en ligne, rassemblés cet été pour former Jumia, en référence au Jumia Mall, un centre commercial virtuel, l'entité la plus importante du groupe. Jumia doublé ses revenus entre 2014 et 2015, passant de 61 millions à 134,6 millions d'euros.
L'entreprise est incubée par la structure allemande Rocket Internet et n'a pas fait l'erreur d'opter pour une gestion centralisée depuis l'Europe. Seul un bureau demeure à Paris, mais tout est géré depuis Lagos, au Nigeria: 98% des 3000 salariés résident en Afrique.
Jumia mise sur une implantation large: "Nous sommes présents dans 23 pays, soit 95% des pays dans lesquels les consommateurs ont accès à Internet. Nous évitons seulement les pays trop petits et ceux dont la situation politique s'avère trop compliquée", affirme Jérémy Hodara. Les pays à forte population, tels que le Nigeria (20 millions d'habitants rien qu'à Lagos, sa vile la plus peuplée, mais aussi le pays d'Afrique qui comprend le plus d'internautes), l'Egypte, le Kenya, la Côte d'Ivoire et l'Afrique du Sud tirent la croissance de Jumia: "une situation historique et qui ne va pas changer". Ce qui n'empêche pas une croissance "très forte" en Tunisie, Algérie, Tanzanie, au Sénégal, Cameroun et Rwanda, que le dirigeant qualifie de "deuxième vague".
Jumia a construit un écosystème complet
"Nous nous adressons à la classe moyenne africaine et non aux plus riches."
L'idée nouvelle, celle qui a nourrit la croissance de Jumia, tient à son positionnement global: "Nous sommes uniques car nous proposons un écosystème complet", affirme le cofondateur, En effet, Jumia rassemble des services, des applications, un site d'e-commerce, une marketplace, un site de réservation d'hôtel, des sites de petites annonces, de la livraison de repas. "Nous apportons aux gens, en Afrique, des solutions aux problèmes de tous les jours grâce à Internet. Nous parlons réellement à la classe moyenne africaine et ne destinons pas notre offre aux quelques personnes très aisées des capitales, qui disposent déjà des services nécessaires." En effet, selon Deloitte(1), "un jeune Africain sur cinq a déjà acheté un produit par le biais du téléphone portable" et la classe moyenne connaît un essor considérable: composée de 375 millions de personnes, elle devrait en compter 1,5 milliard d'ici à 2030.
À cet enjeu hors normes, l'entreprise répond par le gigantisme: en ce sens, elle ne compte aucun concurrent frontal. Plusieurs concurrents locaux existent néanmoins mais ils demeurent spécialisés dans une activité: Vendito pour les petites annonces, Konga pour l'e-commerce. "Mais nous sommes partout (et de loin) premiers, hormis en Égypte, où Jumia se partage la première place avec la plateforme e-commerce Souq.com." Amazon serait d'ailleurs prêt à racheter Souq.com (environ 300 millions de dollars de chiffre d'affaires annuel) pour 1 milliard d'euros, signe d'une intensification de la concurrence au sein du pays.
Jumia demeure, avant tout, une marketplace (environ 80% de l'offre). Cependant, l'entreprise, à la manière d'Amazon, vend également des produits en direct: "C'est le cas lorsque le stock des marchands est très limité ou lorsque nous négocions des avant-première avec des fabricants, ce qui nous permet de proposer un meilleur prix", précise notre interlocuteur.
Marques locales et occidentales: le programme Africa
Comme en France, la majorité des produits vendus proviennent de marques occidentales ou asiatiques. "L'Afrique reflète la structure mondiale du commerce", selon Jérémy Hodara. Pour favoriser la production locale, la start-up a mis en place le programme "Jumia Local". Il permet à toute personne qui produit dans un pays d'implantation de l'entreprise de vendre gratuitement sur les sites de Jumia, sans aucune condition. Nous leur offrons une véritable visibilité. "Le programme fonctionne bien pour l'artisanat et commence à donner des résultats pour la mode et l'habillement. Il existe quelques initiatives sur le secteur de l'électronique mais elles demeurent peu nombreuses", résume le codirigeant. L'Égypte, par exemple, est utilisée par beaucoup de grands fabricants pour assembler les appareils. "Même si l'ensemble de la chaîne de valeur ne se situe pas en Égypte, nous tentons de favoriser les marques qui travaillent dans le pays".
Suivre le rythme des clients
Le troisième site le plus visité, derrière Facebook, Google et YouTube.
Si le recrutement de marchands ne pose pas de problème, il n'en va pas de même pour l'acquisition de nouveaux clients. "Nous souhaitons aller vite mais pas trop. Ce n'est pas à nous de convaincre les consommateurs d'utiliser Internet, se défend Jérémy Hodara. Nous ciblons des internautes, à qui nous expliquons la proposition de valeur de l'e-commerce. Nous bénéficions déjà d'une notoriété très supérieure à ce qu'une site e-commerce peut espérer en Europe." Dans ses pays d'implantation, Jumia se targue d'être le troisième site le plus visité, juste derrière, Facebook, Google et YouTube: une aubaine inimaginable en France pour une plateforme de vente en ligne.
La stratégie d'acquisition est donc principalement on line, avec un complément off line, destiné à donner de la légitimité et à rassurer les consommateurs. La plateforme s'est construit une image de confiance, notamment grâce à son recours au paiement en argent liquide à la livraison (nécessaire, par ailleurs, puisque le Nigeria, premier marché de Jumia, connaît un taux de bancarisation de 12%).
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(1) Etude Deloitte 2015: "La consommation en Afrique: le marché du XXIe siècle".