Les grands rendez-vous juridiques du numérique pour 2017
Retour sur les suites de la Loi pour une République numérique, le Règlement général pour la protection des données et les événement qui jalonneront 2017 avec Maître Gérard Haas, avocat associé de Haas Avocats.
Je m'abonneCertes, les périodes électorales freinent toujours les ardeurs du législateur. Cependant, les réformes engagées en 2016, notamment la Loi pour une République numérique et les changements annoncés par le Règlement général pour la protection des données, vont transporter dans leur sillage divers décrets d'application et mesures. En outre, des projets de lois engagées en 2016 se poursuivront et un certain nombre de rendez-vous judiciaires feront de 2017 une année dense en matière d'économie numérique.
1. Les suites de la loi pour une République numérique
Si plusieurs dispositions sont d'ores et déjà entrées en vigueur, notamment l'augmentation substantielle du plafond des sanctions administratives ou le droit au maintien de la connexion internet (qui sera expérimenté en 2017 grâce à une convention entre les départements de la Seine-Saint-Denis et de la Haute-Saône avec les fournisseurs d'accès), d'autres ne seront appliquées qu'après publication des décrets afférents.
Après une consultation obligatoire, un décret viendra notamment établir les conditions dans lesquelles les administrations seront contraintes de mentionner explicitement l'utilisation d'un traitement algorithmique dans leur prise de décision.
Une consultation concernant le service public de la donnée a déjà fait connaître ses résultats. Les participants étaient majoritairement issus du secteur public (40% d'entre eux, dont plus de la moitié travaillant en collectivité), 30% se sont identifiés comme particuliers, 20% comme appartenant à une entreprise et enfin 10% étaient issus du milieu associatif. Cette consultation a permis de recueillir 85% d'opinion favorable à la première liste de données de référence qui seront mises à disposition afin d'être réutilisées. Il s'agit du registre des entreprises (base Sirene), du répertoire national des associations, du cadastre, des limites administratives du référentiel à grande échelle, du registre parcellaire géographique agricole ainsi que de la base adresse nationale. Les répondants estiment qu'afin d'alimenter des applications en temps réel, l'interface de programmation applicative est la mieux adaptée à la diffusion de ces données. En termes de qualité attendue, il ressort de la consultation que les exigences les plus fortes des personnes consultées concernent les caractères actualisé et disponible de ces données.
Tout au long de l'année 2017, huit collectivités locales vont expérimenter l'ouverture des données publiques afin de tester et d'améliorer les dispositifs et de faciliter l'application de cette mesure dans le reste du territoire national.
La Loi pour une République numérique prévoit également l'ouverture des données de jurisprudence. La Cour de cassation a organisé un colloque sur ce thème, au cours duquel est intervenu Monsieur Jean-Paul Jean, président de chambre à la Cour de cassation et directeur du service de documentation, des études et du rapport. Il donne tout d'abord les deux déclinaisons de l'accessibilité visée par l'open data, à savoir à la fois une meilleure compréhension des décisions de justice et une diffusion plus massive. Monsieur Jean identifie trois problématiques concernant l'ouverture des données de jurisprudence :
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- L'anonymisation des données personnelles
Les décisions de justice contenant des données personnelles, qui font l'objet d'une protection particulière, relevant de la vie privée et objet au droit à l'oubli, posent problème quant à leur diffusion. Si le Sénat a renforcé l'exigence d'anonymisation dans la loi afin de réduire le risque de "ré-identification", il sera néanmoins toujours possible d'identifier les personnes concernées, ne serait-ce qu'en demandant au greffe la communication d'une décision non anonymisée, grâce au numéro de RG. Il s'agit donc de définir le niveau de risque acceptable à ce titre au regard des bénéfices attendus de l'open data.
Outre cette menace considérable pour les libertés individuelles, l'ouverture des données de jurisprudence constitue également un défi technique, dont le succès dépendra des performances du logiciel d'anonymisation et du niveau d'exigence fixé, notamment par la Cnil.
- Service public ou service privé?
Monsieur Jean s'interroge également sur l'intérêt de diffuser l'intégralité des décisions de justice. Il cite notamment le comité des ministres du Conseil de l'Europe qui, dès 1995, préconisait une sélection des décisions afin "d'éviter l'accumulation d'informations inutiles".
La massification des décisions disponibles permettrait le développement de nouveaux services publics, tels que le projet hollandais "Résolution de conflits en ligne pour les conflits relationnels", qui prend la forme d'une plateforme intégrant un dispositif d'accès à l'aide juridictionnelle, l'orientation vers une procédure négociée et un lien avec un avocat spécialisé.
Cette démultiplication sera également une opportunité pour les initiatives privées de recherche juridique, d'alternative au procès et de facilitation des démarches judiciaires. Des éditeurs juridiques proposent d'ores et déjà des prédictions chiffrées des décisions de justice. Un risque important de dérive est alors à anticiper, dans la mesure où des algorithmes pourraient permettre de connaître les juges (leur jurisprudence, leur façon d'appréhender un contentieux, voire leur parcours et leurs valeurs), les avocats pouvant alors tenter d'orienter les affaires vers un juge plutôt qu'un autre en jouant sur les règles de compétence.
Si les juges peuvent être identifiés, ce sera également le cas des avocats, dont les performances seront également publiques.
- La finalité de l'open data en question
En tant que donnée personnelle, le traitement automatisé des décisions de justice doit être attaché à une finalité déterminée. Il consiste en l'occurrence dans une meilleure connaissance et une meilleure transparence des règles de droit. Une plus grande prévisibilité des décisions de justice et la convergence des jurisprudences sous l'autorité de la Cour de cassation permettront également l'harmonisation de l'application du droit.
Il s'agira toutefois d'empêcher que des moteurs de recherche permettent d'établir leurs propres hiérarchies à des fins discutables. Un travail à la source est donc indispensable (enrichissement par des sommaires, titres et références doctrinales): l'open data n'est donc pas seulement un défi quantitatif, mais également un défi qualitatif.
1.2 L'encadrement des plateformes
La Loi pour une République numérique crée d'une part le droit à la portabilité des données, et met d'autre part à la charge des plateformes une obligation de loyauté.
- La portabilité des données
Le droit à la portabilité des données, qui entrera en vigueur en mai 2018, sera bicéphale, consacré en des termes différents par la Loi pour une République numérique et par le Règlement européen pour la protection des données.
La Loi pour une République numérique met à la charge des fournisseurs de service de communication en ligne l'obligation de permettre aux utilisateurs de récupérer les fichiers qu'ils ont mis en ligne et les données attachées à leur compte. Toutefois, sont exclues du champ du droit à la portabilité les données ayant fait l'objet d'un enrichissement significatif, et le texte précise que ce droit ne doit pas porter préjudice au secret commercial et industriel ni à des droits de propriété intellectuelle. Le Règlement impose quant à lui au responsable de traitement de permettre à l'utilisateur de récupérer les données qu'il lui a fournies, ainsi que ses données personnelles: le volume de données concerné est donc moindre, tout comme les exceptions à ce droit.
Outre la protection de l'utilisateur, qui restera ainsi maître de ses données, il s'agit également de favoriser la concurrence entre services numériques en libérant l'utilisateur d'un prestataire dont il était jusqu'alors captif.
La portabilité est toutefois critiquée, certains craignant que la mesure soit contre-productive en matière d'innovation: en ayant l'information a priori, les entreprises pourraient se centrer sur les pratiques technologiques majoritaires, restreignant ainsi le champ de la recherche et développement. Les entreprises, et en particulier les PME, s'inquiètent également de la mise en place pratique et des difficultés techniques posées par cette nouvelle obligation à leur charge, dont le coût en termes d'interopérabilité et de regroupement des données pourrait être colossal.
- Loyauté des plateformes
La loyauté des plateformes implique avant tout leur transparence, ce qui se traduit dans la Loi par l'obligation d'informer le consommateur. Cette obligation résulte du constat d'une trop forte asymétrie d'information dont pâtissait le consommateur, et de la dépendance que créent les plateformes pour les entreprises. Certains acteurs, comme le Conseil national du numérique, reprochent néanmoins au texte dans sa rédaction actuelle ses lacunes dans le domaine du B to B, relation qui devrait selon le Conseil également être concernée par la loyauté et l'obligation d'information.
D'autres, comme Messieurs Saint Vincent et Brunet, membres de la chambre du commerce et d'industrie Paris Ile-de-France, critiquent la création d'un statut qui se superpose à ceux d'éditeur et d'hébergeur. Ils s'interrogent également sur la portée de l'obligation d'information, qu'ils jugent légitime s'il s'agit d'informer les consommateurs du fait que certaines marques sont privilégiées dans un référencement, mais sont opposés à l'obligation de détailler les modalités de référencement et déréférencement, qui exposeraient les méthodes algorithmiques utilisées aux concurrents.
1.3 Protection des internautes
La Loi pour une République numérique élargit la protection accordée aux internautes en prévoyant le droit à la mort numérique et en étendant le champ du secret des correspondances privées. Pour ce qui est de la mort numérique, un décret devrait intervenir avant le mois de mars 2017 afin d'établir les modalités du registre unique dans lequel pourront être consignées les directives générales des internautes concernant le sort de leurs données après leur décès. Concernant les correspondances privées, la consultation portant sur l'intégration des données de connexion dans le champ du secret des correspondances n'a recueilli que des avis positifs. Le décret d'application en la matière devrait intervenir dans les jours qui viennent. Sur ces trois points, des décrets devraient intervenir au cours du premier semestre 2017. Les débats qu'ils ont fait naître ne manqueront pas de ressurgir à l'occasion des débats qui présideront à leur adoption.
2. Démarches engagées en 2016 qui se poursuivront en 2017
2.1 La lutte contre le démarchage téléphonique
Avec 2,7 millions d'inscrits et 6 millions de numéros protégés en six mois, le service d'opposition au démarchage téléphonique Bloctel lancé au ler juin 2016 est un succès. 90% des réclamations enregistrées par le service concernent la pratique du "ping call", appels ou SMS provenant d'automates qui invitent la personne à rappeler un numéro surtaxé. La DGCCRF a donc mis en oeuvre un plan de contrôles renforcés et systématiques des numéros les plus signalés à ce titre.
Selon Martine Pinville, secrétaire d'État chargée du commerce et de la consommation, les sanctions devraient s'intensifier en 2017. Les entreprises qui démarchent les inscrits sur Bloctel encourent une amende administrative qui peut s'élever à 75000 euros, et 1,5 million en cas de démarchage agressif ou trompeur.
2.2 La taxe YouTube, un serpent de mer
Malgré l'opposition du gouvernement à cette nouveauté, le projet de loi de finance rectificative du 8 décembre 2016 inclut une "taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels" pour les "services donnant ou permettant l'accès à titre gratuit à des contenus audiovisuels, sur demande individuelle formulée par un procédé de communication électronique". Elle visait à introduire une taxe de 2% sur les recettes publicitaires des plateformes de type YouTube ou Dailymotion.
Pour aller plus loin: Les députés adoptent la taxe YouTube
Cette taxe est très controversée. En effet, ses détracteurs notent que les revenus générés par les contenus diffusés sur les plateformes font déjà l'objet d'un impôt, que ce soit via l'impôt sur les revenus ou l'impôt sur les sociétés. Ils jugent donc que le fait d'ajouter une nouvelle taxe revient à "céder à la tentation de la double peine fiscale". Ils estiment que tout au contraire des initiatives du législateur actuel, l'économie numérique, mouvante par essence, nécessite un cadre juridique et fiscal stable et prévisible afin de se développer. Ces mêmes détracteurs relèvent que la taxe est contre-productive en termes de justice fiscale, dans la mesure où les plateformes, diffuseurs de contenus, organisent d'ores et déjà autour le partage des revenus avec les créateurs. Enfin, ils prévoient que l'instauration d'une telle taxe nuira à l'attractivité de la France. Finalement, les députés ont voté contre l'amendement de la commission des Finances, la taxe n'a pas franchi l'étape de l'Assemblée. Mais il s'agit d'un véritable serpent de mer et taxer le numérique est souvent présenter comme une défense de l'ancienne économie.
2.3 Le projet de Code européen des communications électroniques
En septembre dernier, la commission européenne a présenté un projet de code européen des communications électroniques. Au cours des travaux préparatoires, la France a défendu la nécessité d'assurer l'accès de tous les utilisateurs aux réseaux en soutenant l'investissement pour la couverture des territoires ruraux. La France a également prôné l'application de règles identiques pour des services similaires, qu'ils soient opérés par des opérateurs télécoms ou par des acteurs de l'Internet. Enfin, la France souhaite que les règles existantes soient revues dans le cadre d'une politique industrielle du secteur. Ce projet devrait donc se poursuivre et pourrait aboutir au cours de l'année 2017.