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Pierre-Olivier Brial : "Proposer une alternative circulaire crédible, c'est possible"

Le groupe Manutan, fournisseur européen de produits et services aux entreprises et collectivités, compte actuellement 2 500 collaborateurs et réalise un chiffre d'affaires d'un peu plus d'un milliard d'euros. Rencontre avec Pierre-Olivier Brial, directeur général du groupe Manutan, qui nous raconte l'aventure de cette entreprise leader dans son secteur.

Publié par Elsa Guerin le | mis à jour à
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Pierre-Olivier Brial : 'Proposer une alternative circulaire crédible, c'est possible'
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Quelle est l'histoire du groupe Manutan ?

L'aventure a commencé il y a bientôt 60 ans. À l'origine, il s'agissait d'une entreprise familiale française qui vendait du matériel de manutention via un catalogue, ce qui était novateur à l'époque. Nulle part nous ne trouvions encore de prix affichés dans ce type de publication pour le BtoB. Nous avons été parmi les premiers à instaurer un prix visible dans un catalogue. C'était une petite révolution.

Une étape déterminante a été l'ouverture, dans les années 1970, d'une première filiale en Angleterre, puis en Belgique. Mais le tournant majeur est intervenu en 1995, avec l'acquisition d'une entreprise très réputée au Benelux. À partir de là, Manutan est devenu un groupe véritablement européen.

Aujourd'hui, près de la moitié de notre chiffre d'affaires est réalisée hors de France, avec des entrepôts et des équipes en Scandinavie, au Benelux, en Europe de l'Est et du Sud. Nous avons aussi élargi nos gammes au fil du temps, en passant d'un spécialiste de la manutention à un acteur multispécialiste B2B.

Internet a-t-il été un accélérateur de transformation pour le groupe Manutan ?

Absolument. L'arrivée d'Internet dans les années 2000 a représenté une véritable rupture. Nous sommes passés d'un modèle centré sur le catalogue papier à un modèle multicanal. Cela nous a permis de toucher une base de clients bien plus large, d'améliorer notre référencement, d'accélérer les processus d'achat avec des solutions comme le purchase-to-pay, et d'outiller nos grands comptes.

Nous avons également adapté notre force commerciale : elle repose aujourd'hui sur la donnée client, sur la connexion avec des outils comme SAP / Ariba ou Coupa et sur une logique de conseil plus stratégique. Internet n'a pas remplacé l'humain, mais il l'a enrichi.

Quelles ont été les autres étapes clés de votre croissance ?

Un moment décisif a été le rachat de Camif Collectivités en 2008, qui nous a permis de constituer un pôle dédié au secteur public et aux collectivités. Aujourd'hui, Manutan c'est 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, dont environ 700 millions pour les entreprises, et le reste pour les collectivités, principalement en France et au Royaume-Uni. Nous sommes implantés à Gonesse (Val-d'Oise), où se trouve notre siège, et disposons de 13 entrepôts répartis en Europe.

Quels sont vos grands défis aujourd'hui ?

Nous travaillons sur plusieurs axes. Le premier, c'est l'expérience d'achat. Même les grands comptes utilisent notre site e-commerce, mais nos clients ont besoin d'être guidés dans un catalogue de plus de 850 000 références. Ils ne savent pas toujours ce qu'ils cherchent - il peut s'agir d'un achat ponctuel, urgent, pour lequel il faut pouvoir offrir une interface claire et complète.
L'enjeu est donc de nourrir notre moteur de recherche avec de l'intelligence artificielle, afin de proposer les bons produits au bon moment.

Le deuxième axe, c'est la fluidité des processus et l'intégration omnicanale. Nos clients doivent pouvoir naviguer sans rupture entre nos canaux : site, téléphone, commerciaux, etc.

Vous parlez beaucoup de digital, mais vous insistez aussi sur la relation humaine. Comment conjuguer les deux ?

Notre conviction, c'est que le modèle gagnant repose sur une alliance entre le digital et le relationnel. Le digital permet de simplifier, de gagner du temps, mais dans le B2B, on n'achète pas pour soi : il y a des enjeux de conformité, de sécurité, de complexité. Nos clients ont besoin de conseils.

C'est pourquoi nous croyons à un modèle d'alliance, où l'humain garde toute sa place, notamment sur les sujets techniques ou à forte valeur ajoutée.
Dans certains pays, comme les Pays Bas, nous avons des filiales très digitalisées, mais avec un niveau d'expertise et de service client très élevé.

L'intelligence artificielle est-elle au coeur de vos priorités ?

Oui. Nous avons formé une équipe experte IA qui travaille sur des cas d'usage concrets, notamment le moteur de recherche de notre site. Nous avons aussi mis en place un programme de formation à l'usage de l'IA pour nos collaborateurs, afin de libérer du temps sur les tâches à faible valeur ajoutée. Une vingtaine de projets IA sont déjà identifiés.
L'idée, c'est de replacer l'humain au coeur de la relation client : plus de temps pour aller sur le terrain, participer à un salon, conseiller - moins de temps passé dans Excel.

Vous êtes également très engagés sur la décarbonation. Concrètement, que faites-vous ?

Nous avons lancé une démarche ambitieuse d'économie circulaire. En tant que distributeur, notre impact environnemental est principalement lié aux produits que nous vendons - c'est le scope 3.
Nous avons mis en place un entrepôt dédié au reconditionnement de mobilier, qui collecte des produits (pas forcément vendus par Manutan), les reconditionne, et les revend sur notre site.

Ce modèle, lancé dans 6 pays, fonctionne bien. En six mois, les résultats sont prometteurs. Le mobilier de bureau reconditionné représente aujourd'hui 4 à 7 % de ce marché, et des experts estiment que cela peut aller jusqu'à 50 % à terme.

Nous avons également développé un indicateur environnemental produit, basé sur 16 critères (consommation d'eau, énergie, recyclabilité, etc.), une sorte de Nutri-Score du B2B. Et nous visons 10 % du chiffre d'affaires en économie circulaire d'ici 2025, avec la neutralité carbone sur les scopes 1 et 2.

Quels sont les concurrents de Manutan aujourd'hui ?

Nous faisons face à de grands acteurs comme Amazon Business, mais aussi sur Google shopping à des concurrents comme TEMU ou SHEIN, qui vendent à prix cassés. Ce sont des concurrents préoccupants, car ils ne respectent pas les normes sociales, salariales ou environnementales en vigueur en Europe.

Nous pensons qu'il faut un rééquilibrage réglementaire au niveau européen, pour que les règles soient équitables pour tous. Ce n'est pas seulement une question de modèle de consommation, mais de justice économique.

Quelle fut la décision prise qui vous apparaît actuellement comme une clé de votre succès?

Il y a dix ans, nous avons enclenché un pivot stratégique, avec une vision plus intégrée et collective : mutualisation des systèmes, vision commune, investissement dans le digital, développement durable.

Avoir une vision claire et portée par l'ensemble des équipes fut notre meilleure décision. Elle a donné du sens à tout le monde et nous a permis de traverser des périodes plus incertaines.

Une dernière conviction à partager ?

Je crois à l'agilité collective. Il est impératif, même si l'emploi du temps est chargé, de confronter ses idées aux autres.
Aujourd'hui, la clé, c'est de réconcilier des paradoxes : le client veut à la fois du prix, des solutions pour se décarboner, de l'autonomie et de l'accompagnement, etc.
Pour répondre à ces multiples injonctions, il faut une vision claire et déterminée, tout en sachant changer d'itinéraire si nécessaire. La résilience est une des vertus cardinales de l'époque.



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