Valery Cussenot, Kingfisher : "Un produit durable ne doit pas coûter plus cher"
Le groupe Kingfisher, présent en France à travers Castorama, Brico Dépôt et désormais Screwfix, s'est engagé sur une trajectoire ambitieuse de neutralité carbone d'ici 2050 (scopes 1, 2 et 3). Valery Cussenot, Directeur de la gestion des marques propres, de la qualité et de la stratégie, nous explique comment cette stratégie transforme les pratiques du groupe et du secteur.

Où en êtes-vous en termes de réduction des émissions sur le scope 3 ?
Nos premières actions ont débuté dès 2018. Nous sommes désormais dans une seconde phase de notre démarche de décarbonation, avec un accent particulier mis sur la chaîne d'approvisionnement. Le point de départ a été un constat global : le secteur du retail représente près de 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour structurer notre action, nous avons travaillé un partenaire externe. Nous avons défini une stratégie couvrant les trois scopes. Les scopes 1 et 2 concernent les émissions directement liées à nos magasins, nos sièges et le transport de nos marchandises. Le scope 3, lui, est plus vaste et difficile à piloter, puisqu'il concerne les émissions indirectes générées par notre chaîne de valeur, notamment la production et l'utilisation des produits par nos clients.
Nous avons choisi de commencer par les scopes 1 et 2, car ils sont plus facilement maîtrisables et constituent la base indispensable avant de s'attaquer efficacement au scope 3. Depuis 2016, nous avons déjà réduit les émissions de Castorama de 55 %, et celles de Brico Dépôt de 38 %. Cela a été possible grâce à plusieurs actions : la pose de revêtements réfléchissants sur les toitures pour limiter la climatisation, le remplacement des chaudières à gaz par des pompes à chaleur, ou encore la généralisation de l'éclairage LED dans nos magasins.
Comment avez-vous abordé la décarbonation du scope 3, particulièrement complexe ?
C'est l'étape la plus difficile pour tous les distributeurs, car elle demande d'agir sur des éléments que nous ne contrôlons pas directement, comme le choix des matériaux, des procédés industriels ou des fournisseurs. Dès 2022, nous avons changé de prestataires pour disposer d'un modèle de mesure fiable, puis défini une feuille de route claire. Nous avons identifié quatre leviers d'action : améliorer l'efficacité énergétique des produits, ce qui représente environ 40 % des émissions ; remplacer les produits utilisant des énergies fossiles, responsables de 28 % des émissions ; privilégier les matériaux à faible empreinte carbone ou alternatifs, qui comptent pour 13 % ; et enfin, sélectionner des fournisseurs affichant les plus faibles émissions, soit 21 %.
Pour mobiliser nos partenaires, nous avons mis en place deux plans d'action. Le premier, à horizon 2028, concerne nos cent premiers fournisseurs, qui représentent à eux seuls 50 % de nos émissions de scope 3. Le second, à horizon 2030, couvre 450 autres fournisseurs, responsables de 35 % des émissions. Ces plans ont été validés par la Science-Based Target initiative (SBTi). Pour accompagner cette transition, nous avons créé une plateforme indépendante et confidentielle, Manufacture 2030, qui aide les fournisseurs à structurer leur feuille de route carbone. Nous leur demandons de faire en quatre ans ce que nous avons mis deux ans à construire.
Comment conciliez-vous enjeux économiques et exigence écologique ?
Nous sommes convaincus que l'un doit soutenir l'autre. Un produit plus durable ne doit pas coûter plus cher pour le client final. C'est à nous de faire les bons choix de conception, de matériaux et de partenariats pour maintenir des prix accessibles. Un bon exemple est celui du terreau. La tourbe, très émettrice de CO2, était largement utilisée dans nos gammes. En quelques années, nous avons mis au point un terreau sans tourbe, qui permet d'économiser 50 000 tonnes de carbone, tout en étant vendu au même prix. Ce produit, d'abord lancé au Royaume-Uni, est désormais disponible partout. Castorama s'est engagée à ne plus vendre de terreau contenant de la tourbe pour ses marques propres depuis avril 2024, et à supprimer toute vente de ce type d'ici 2 026.
Cette stratégie s'inscrit-elle dans une démarche plus globale du groupe ?
Oui, totalement. Notre trajectoire carbone est un pilier de la stratégie RSE "Powered by Kingfisher". Elle vise à faire de la transition écologique une priorité transversale. Cela se traduit par des actions concrètes. Par exemple, 97 % du bois et du papier utilisés par Castorama et Brico Dépôt proviennent de forêts gérées durablement, avec un objectif d'atteindre les 100 % d'ici fin 2025. Par ailleurs, nos sièges sociaux sont labellisés Refuge LPO : celui de Castorama depuis 2022, celui de Brico Dépôt depuis 2023, en lien avec nos actions pour protéger la biodiversité.
Nous avons également lancé GreenStar, un repère qui permet aux clients d'identifier facilement les produits les plus responsables. Ce marquage accompagne notre programme Sustainable Home Products, qui vise à ce que 60 % de nos ventes - et 70 % pour nos marques propres - concernent des produits écoconçus d'ici fin 2025.
Quel est l'état d'esprit qui anime cette transformation ?
Nous avons fait le choix d'une dynamique collaborative, ouverte. Nous ne cherchons pas à garder nos pratiques pour nous. Nos produits servent déjà de tests à l'échelle du groupe, et peuvent inspirer les autres enseignes. Partager nos bonnes pratiques, former nos fournisseurs, et embarquer tout notre écosystème dans la transition est essentiel pour atteindre nos objectifs.
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