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Comment les fournisseurs peuvent-ils réguler les ventes en ligne des distributeurs ?

Publié par le - mis à jour à

Alors que l'interdiction des restrictions des ventes en ligne s'impose aux fournisseurs, ces derniers conservent tout de même des droits sur les ventes en ligne des distributeurs, et des solutions autorisant les restrictions des ventes e-commerce peuvent émerger, autour de la publicité en ligne notamment.

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Ces derniers mois ont été marqués par des décisions de l'autorité de la concurrence concernant les ventes en lignes dans les réseaux de distribution. Trois marques de renom (Rolex, De Neuville et Mariage Frères), ont été sanctionnées par de fortes amendes pour avoir (trop) restreint les ventes en ligne des distributeurs.

"Il est interdit d'interdire !". Cette formule, que l'on doit à l'humoriste Jean Yanne, n'a jamais été aussi vraie qu'en matière de ventes en ligne en droit de la distribution et de la concurrence. Bien que la tête d'un réseau ait un droit à la libre organisation de sa distribution, elle ne peut pour autant pas interdire à ses distributeurs de vendre en ligne. En effet, en droit de la concurrence, l'interdiction de vendre en ligne est une restriction caractérisée s'analysant comme une interdiction des ventes passives, qui entraîne l'illicéité du contrat de distribution.

Si le canal de distribution e-commerce est aussi regardé et réglementé, c'est parce qu'il est rapidement devenu un incontournable pour le consommateur. En France, au sortir de l'année 2023, l'e-commerce réalise un résultat annuel de 159,9 milliards d'euros, en hausse de presque 11 % par rapport à 2022. Le nombre de transactions a augmenté de 5 %, et le panier moyen de 5,5 %. Bref, l'e-commerce comporte des enjeux sensibles tant pour le consommateur que pour la concurrence.

Ces décisions de l'autorité de la concurrence donnent l'occasion de dresser un panorama non exhaustif des règles qui s'imposent au fournisseur (1) et de sa marge (étroite) de liberté (2).

Le principe d'interdiction des restrictions aux ventes en ligne s'impose au fournisseur

À l'origine une question prétorienne, il faut désormais se référer au règlement européen (UE) n° 2022 / 720 qui règle le sort de la clause interdisant la commercialisation en ligne des produits et / ou services. L'article 4, e) prévoit l'impossibilité d'empêcher un acheteur et ses clients d'utiliser l'internet pour vendre les biens ou services contractuels, cette pratique étant qualifiée de restriction caractérisée, en ce qu'elle aboutit à fausser la concurrence que doivent normalement se livrer les revendeurs, non seulement entre eux, mais également à l'égard du fabricant sur le canal de distribution de la vente en ligne.

Le règlement de 2022 va plus loin que le texte précédent en la matière qui ne visait pas les ventes des clients de l'acheteur (ceux du revendeur). Désormais, le revendeur et ses clients ne peuvent plus être empêchés de recourir à la vente par internet, comme le soulignent les lignes directrices qui complètent le texte et aux termes desquelles il est interdit, directement ou indirectement, "d'empêcher l'utilisation effective de l'internet par l'acheteur ou ses clients pour vendre les biens ou services contractuels sur des territoires spécifiques ou à une clientèle spécifique". Cette extension témoigne d'une volonté ferme de libérer la vente en ligne de toute entrave.

Quel que soit le réseau de distribution concerné, le fournisseur n'a pas le droit d'interdire à son distributeur de vendre en ligne, comme l'illustrent les trois décisions de l'autorité de la concurrence : réseau de distribution sélective (Rolex), réseau de franchise (De Neuville) et réseau libre (Mariage Frères).

L'interdiction vise non seulement l'entrave directe telle que : "Le Franchiseur possède l'exclusivité de la vente de ses produits et services pour ce qui concerne la vente par correspondance ou Internet" ou encore "nous vous confirmons qu'en aucune manière nos Distributeurs Agréés qui sont les seuls autorisés à vendre nos produits, ne peuvent le faire par Internet, pas plus que par correspondance. Toute vente sur Internet vient en contravention avec les dispositions de l'article IV.3.b du Contrat de Distribution Sélective souscrit par l'ensemble de nos Distributeurs agréés", mais également toute pratique indirecte, telle que :

- Réserver au franchiseur ou au fournisseur l'exclusivité des ventes en lignes ;

- Conditionner les ventes en ligne à une autorisation préalable écrite du franchiseur ;

- Réduire significativement le volume des ventes en ligne du distributeur ;

- Subordonner la vente en ligne à la remise du produit entre les mains du client ;

Les (rares) solutions autorisant les restrictions des ventes en ligne

L'interdiction n'est toutefois pas absolue. Un fournisseur conserve des droits sur les ventes en ligne des distributeurs. Il peut en effet lui imposer :

- Des restrictions dans la manière de vendre en ligne, "à condition qu'elles n'aient pas pour objet indirect d'empêcher l'utilisation effective de l'internet par l'acheteur" ;

- Des restrictions sur la manière de réaliser de la publicité en ligne.

Par exemple, le fournisseur peut obliger les distributeurs à respecter une présentation particulière des produits en ligne, leur imposer une charte graphique spécifique, obliger la création et l'exploitation d'un service après-vente d'assistance en ligne, etc.

Le fournisseur peut également restreindre le recours par ses distributeurs à des plateformes tierces (ou places de marché en ligne, "marketplaces"). En effet, quel que soit le réseau de distribution concerné, sélectif, exclusif ou neutre, restreindre ou interdire les ventes d'un distributeur via des plateformes tierces est possible à condition cependant de ne pas empêcher l'utilisation effective d'internet et de justifier le bénéfice d'une exemption catégorielle au sens du règlement d'exemption.

Les réseaux de distribution sélective jouissent d'un statut particulier. Tout d'abord, la restriction au recours par les distributeurs sélectifs de recourir à des plateformes tierces n'est valable dans un réseau de distribution sélective que lorsqu'elle :

- Préserve l'image de luxe des produits,

- Est fixée de manière uniforme et est appliquée de façon non discriminatoire,

- Est proportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

En outre, le fournisseur peut toujours imposer une restriction de vendre en ligne à ses distributeurs en la justifiant objectivement par rapport à la nature luxueuse des produits ou leur haut degré de technicité et dangerosité. Cependant, une telle justification objective reste difficile à prouver et nécessite nécessairement d'être dans un réseau de distribution sélective. C'est là d'ailleurs tout l'enseignement de la décision dans l'affaire Mariages Frères ! L'absence de distribution sélective dans les faits d'espèce a conduit l'autorité de la concurrence à ne pas retenir ces justifications.

Pour justifier de telles restrictions, le fournisseur peut encore tenter, en dernier recours, d'invoquer une "exemption individuelle" au sens de l'article 101, par. 3 du TFUE. Il doit alors apporter la preuve des quatre conditions suivantes : "La pratique doit (i) assurer des gains d'efficience, (ii) réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, (iii) sans imposer des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, (iv) ni donner aux entreprises la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause." Toutefois, il est à souligner qu'une telle exemption individuelle, en matière de restriction de vendre en ligne, n'est que très rarement accordée, car les quatre conditions précitées sont rarement réunies.

Enfin, relevons que le fournisseur à la tête d'un réseau de distribution international doit se méfier des décisions rendues par des autorités régulatrices des autres pays et ne pas les tenir pour acquises dans un pays différent. Une autorité de concurrence nationale ne dispose que d'une simple faculté de renoncer à instruire une plainte ou à se saisir d'office de pratiques susceptibles de constituer une restriction de concurrence, au motif qu'une autre autorité de concurrence a été précédemment saisie des mêmes questions. De plus, rappelons qu'une autorité nationale ne peut rendre une décision concluant à l'absence d'une violation des règles de concurrence de l'article 101 TFUE. Ainsi, ce n'est pas parce que l'autorité d'un pays a validé une clause limitant la vente en ligne en considérant qu'elle ne constitue pas une restriction caractérisée, que l'autorité française en fera de même, tout au contraire. Le fournisseur des tronçonneuses à la marque Stihl l'a appris à ses dépens. Les juridictions françaises ont décidé que la restriction des ventes en ligne était anticoncurrentielle alors qu'elle avait été validée par les autorités de concurrence allemande, suédoise et suisse, comme assurant un objectif de sécurisation de l'usage du produit.

Ainsi, si un fournisseur ne peut pas empêcher son distributeur de procéder à des ventes en ligne, il peut toutefois interférer sur les modalités de cette vente. Le fournisseur doit toutefois veiller à ne jamais franchir la limite : l'interdiction, directe ou déguisée, faite à son distributeur de vendre en ligne.

Cette problématique n'est par ailleurs pas prise à la légère par l'autorité de la concurrence. Selon elle, ces pratiques sont graves, car elles reviennent à fermer une voie de commercialisation, au détriment des consommateurs et des distributeurs, alors que la distribution en ligne connaît depuis un essor croissant. En témoignent des sanctions aux montants presque records.

Ainsi, l'autorité a sanctionné la société De Neuville (solidairement avec sa société mère, Savencia) à une amende de 4 068 000 euros, lui a enjoint de communiquer à l'ensemble de ses franchisés le résumé de la décision, et ordonné de publier le résumé de la décision sur son site internet et dans le journal Le Monde.
Rolex France, les sociétés Rolex Holding SA, Rolex SA et la fondation Hans Wilsdorf, tenues solidairement responsables, ont été condamnées au paiement d'une amende de 91 600 000 euros, à une injonction de communiquer un résumé de la décision aux distributeurs agréés, et une obligation de le publier sur son site internet et dans le Figaro ainsi que dans la revue Montres Magazine.

La société Mariage Frères International SAS, et sa société mère, Mariage Frères SAS, ont quant à elles été condamnées au paiement d'une amende de 4 millions d'euros au titre de l'interdiction de vente en ligne ainsi que de l'interdiction de revente des produits à d'autres distributeurs.

 
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