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[Analyse] En Europe, le commerce de détail pourrait rester à la traîne de la "nouvelle normalité numérique"

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[Analyse] En Europe, le commerce de détail pourrait rester à la traîne de la 'nouvelle normalité numérique'

Aujourd'hui, de nombreux pays commencent à lever les mesures de confinement, les trois grandes puissances économiques que sont la Chine, les États-Unis et l'Europe vont-elles parvenir à cette "nouvelle normalité numérique" dans le commerce de détail ?

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"Qui a mené votre transformation numérique ? Pas le P-dg, ni le DSI, mais le Covid-19". Ce mème de MBA-ish est devenu viral sur les réseaux sociaux à l'heure où les entreprises ont dû passer au numérique du jour au lendemain et que des salariés du monde entier ont commencé à expérimenter le télétravail. En une semaine, les médias ont été inondés de commentaires et d'articles d'opinion annonçant une "nouvelle normalité numérique". Alors qu'aujourd'hui, de nombreux pays commencent à lever les mesures de confinement, les trois grandes puissances économiques que sont la Chine, les États-Unis et l'Europe vont-elles parvenir à cette "nouvelle normalité numérique" dans le commerce de détail ?

Récemment, j'ai conduit une étude auprès de plus de 50 hauts dirigeants dans le secteur du commerce de détail et dans des start-up européennes d'e-commerce. Les résultats obtenus ont confirmé une augmentation des activités de commerce en ligne et une accélération de la transformation numérique des entreprises. Près de 90% des réponses obtenues ont confirmé une augmentation de marginale à significative des transactions en ligne. Près de 80% de ces entreprises considèrent que le Covid-19 a accéléré de manière marginale à significative leur transformation numérique.

Toutefois, la transformation numérique en Europe reste plus lente que dans d'autres régions du monde. En moyenne, selon cette enquête, les dirigeants estiment que la transformation numérique dans le commerce de détail européen est près de 20% plus lente qu'aux États-Unis et environ 50% plus lente qu'en Chine.

Qui aura gagné le plus de terrain dans le commerce de détail en ligne après l'épidémie ? Selon la majorité des personnes interrogées, ce sera la Chine. Un quart des répondants pensent quant à eux que les États-Unis resteront en tête. Et plus de 60% pensent que l'Union Européenne restera à la traîne. Quelles en sont les raisons ? Je vous propose ici quelques pistes de réflexion à la lumière des résultats de cette étude.

- Les mesures prises pour faire face aux bonds des commandes en lignes n'ont été que des mesures d'urgence. De nombreux détaillants de l'Union européenne ont été contraints dans un premier temps de fermer leur plateforme de commerce électronique en raison de problèmes d'approvisionnement et de livraison. Certains ont rapidement proposé une solution de retrait en magasin. Malheureusement, ces "solutions temporaires" sont un cas classique d'interface numérique avec support humain. Les commandes ont été préparées par des salariés qui ont pris les articles en rayon avant de les emballer dans des sacs manuellement. Ces "solutions temporaires" sont déterminantes en ce qui concerne la réponse à la hausse de la demande dans le commerce électronique. Par ailleurs, elles ont de fortes répercussions sur l'expérience des consommateurs.

- On a perdu une occasion unique d'offrir une excellente expérience au client et de pérenniser le commerce électronique. Ces solutions temporaires sont généralement peu efficientes en raison du temps nécessaire pour prendre les articles en rayon et du nombre limité de salariés disponibles. J'ai moi-même dû faire la queue pendant deux heures et demie dans ma voiture avant de récupérer une commande, ce qui est plus long que de faire ses courses en magasin.

Ce temps d'attente a "forcé" de nombreux consommateurs à tester le commerce électronique ou à y revenir. Ne pas offrir alors une excellente expérience client peut nuire encore davantage à la confiance des consommateurs. Cela peut également conduire à retarder l'adoption du commerce en ligne chez les détaillants européens, tant pour les commerces traditionnels que pour les plateformes d'e-commerce pur.

L'e-commerce chinois a su tirer profit de la crise

À l'inverse, le commerce électronique chinois a su tirer parti de la hausse de la demande pendant cette crise. Des ressources supplémentaires ont été mobilisées, les infrastructures numériques et physiques existantes ont été mises à profit et des innovations ont été apportées pour offrir une bonne expérience au client. JD.com et Alibaba ont ainsi pu tous deux constaté un maintien du volume des ventes sur leurs sites après le confinement.

- L'infrastructure des entrepôts n'est pas adaptée à la préparation des commandes en ligne. Les détaillants européens disposent de peu de centres logistiques capables de traiter un grand nombre de commandes en ligne. Nombreux sont ceux qui ont reconnu ce problème, et les mesures n'ont peut-être pas été prises assez rapidement pour faire face à la crise. Carrefour par exemple a commencé à ouvrir des entrepôts spécifiques au commerce en ligne. M&S a conclu un partenariat avec Ocado, un acteur spécialisé dans le commerce électronique, mais ils ne commenceront à traiter des commandes qu'à partir de septembre prochain.

En revanche, Amazon et Alibaba quant à eux, développent leurs réseaux d'entrepôts depuis des années. Tous deux ont annoncé de nouveaux recrutements pendant la crise pour augmenter leur capacité. Les détaillants traditionnels aux États-Unis, tels que Walmart, ont converti certains supermarchés non rentables en centres de traitement des commandes en ligne.

- Un manque de coordination centrale en temps réel dans la chaîne d'approvisionnement. En plus de leurs infrastructures et entrepôts désuets, de nombreux distributeurs européens ont également été confrontés à l'intégration numérique de leur chaîne d'approvisionnement. Pour de nombreuses raisons historiques, de nombreux groupes de commerce de détail gèrent leurs différentes enseignes séparément. Je me suis récemment rendu dans trois différentes enseignes d'un même groupe au cours de la deuxième semaine de confinement en France. Les supérettes de quartier étaient complètement à court de produits de première nécessité, de farine, de lait, d'oeufs et d'huile, alors qu'à seulement 3 km de là, le supermarché était achalandé en tout sauf en farine et en oeufs, et à seulement 12 km, les stocks de farine de l'hypermarché étaient énormes. En outre, les commandes en ligne avaient été suspendues temporairement.

À l'inverse, Amazon quant à lui, dispose d'un système numérique intégré et de centres de distribution régionaux qui permettent une livraison à J+2. Alibaba et JD.com, ont également intégré dans leurs réseaux des magasins de quartier et des marchés de producteurs pour servir à la fois de fournisseurs et de points relais de proximité.

- La pression financière continue de limiter les investissements. Ces dernières années, la situation économique européenne difficile n'a pas favorisé une transformation numérique rapide dans le secteur du commerce de détail. Cette situation risque malheureusement de se poursuivre au-delà de la crise du Covid-19. Les consommateurs continueront de dépenser peu et les activités de certaines entreprises pourraient s'en trouver menacées. La solution clé, c'est de préserver l'investissement dans la transformation numérique.

Quelle leçon tirer de tout cela ? On ne peut que constater que l'accélération forcée de la transformation numérique due au Covid-19 ne se traduit pas nécessairement par une "nouvelle normalité numérique". Le nouvel équilibre dans le commerce de détail en ligne sera déterminé par les besoins des consommateurs et leur satisfaction après leurs expériences d'achat en ligne, ainsi que par le coût des infrastructures et des équipements nécessaires au traitement des commandes pour les commerçants. Si les distributeurs européens veulent rattraper leurs homologues américains et chinois, ils doivent adopter une stratégie à long terme en faisant des investissements et en modifiant de manière proactive leurs modèles commerciaux.

Traduit de l'anglais par Gwénaële Reboux, traductrice à l'INSEAD.

Biographie :

Chengyi Lin est professeur affilié de stratégie. Il dirige de nombreux programmes de formation des cadres de l'INSEAD. L'intérêt de recherche du professeur Lin se concentre principalement sur les sujets de transformation numérique et de l'innovation pour les organisations mondiales et multinationales.


 
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