[Tribune] E-commerce luxe: les adoptants tardifs peuvent-ils se mettre à la page?
Ce n'est un secret pour personne que les marques de luxe ont été lentes à adopter l'e-commerce -et que beaucoup d'entre elles doivent encore s'y mettre.
Je m'abonneAvec la croissance exponentielle de l'e-commerce au cours des dernières décennies (27% aux États-Unis durant le premier confinement soit une progression de dix ans en huit semaines), on peut se demander pourquoi le luxe a hésité aussi longtemps à s'adapter à l'air du temps. Il existe de nombreux facteurs déterminants: L'idée que l'e-commerce n'offre pas la même sensation d'exclusivité ni l'expérience offerte par les boutiques physiques. La crainte que le digital, et particulièrement l'e-commerce, ne soit non seulement incompatible avec l'expérience de luxe mais puisse également nuire au capital de marque. Un doute quant au fait que les consommateurs se risquent à dépenser des sommes considérables pour des produits qu'ils n'ont ni essayés, ni même touchés.
Cependant, les statistiques tendent à contredire ce dernier point: la Chine a enregistré plus de 7,5 milliards de dollars de ventes en ligne dans le secteur du luxe en 2019 et, selon McKinsey, les ventes en ligne du secteur devraient tripler à l'échelle mondiale d'ici 2025. Les sceptiques peuvent se rassurer avec l'exemple de l'entreprise suisse d'horlogerie de luxe, Omega. Omega a lancé une montre en édition limitée disponible exclusivement en ligne. Les 2012 unités mises en vente ont été épuisées en moins de deux heures.
Les consommateurs ont pleinement adopté le digital et les innovations technologiques; les marques de luxe n'ont pas d'autre choix que d'adopter la transformation digitale. Certaines de ces marques, comme Louis Vuitton et Burberry, ont su rencontrer le succès dans leurs expérimentations digitales. Mais, pour les adoptants tardifs, le moment est critique. Ces derniers doivent se concentrer sur les opportunités plutôt que sur les risques dus au changement. Ne pas entamer cette transformation représente le risque le plus grave.
L'impact de l'e-commerce est évident: de nombreux retailers traditionnels ne s'étant pas adaptés ont depuis dû déposer le bilan ou fermer boutique de façon définitive. Le Covid a eu un double effet sur le secteur du luxe: au début de la pandémie, la fermeture obligatoire des magasins non-essentiels a frappé aussi bien les boutiques de luxe que leurs partenaires dans la distribution. Le secteur du luxe a connu une seconde vague d'impact sur le canal de la distribution après la levée des restrictions, marquée par la fermeture de nombreux points de vente et des dépôts de bilan pour de nombreux grands magasins. En conséquence, une baisse notable des opportunités avec les clients potentiels comme existants s'est fait sentir. Pour finir, les adoptants tardifs ne disposent que de peu de données au sujet de leurs clients; ils font face à une page blanche.
Comment les retailers du luxe peuvent-ils donc se mettre à la page?
Le modèle "test and learn" s'impose comme l'approche la plus efficace et évolutive. Un pilote basé sur un POC (preuve de concept) permet aux retailers d'obtenir les "insights" nécessaires pour concevoir des améliorations au fur et à mesure. Cette approche remet en question l'idée qu'un produit doit être parfait avant d'être présenté à des clients exigeants. Mais le luxe adore la perfection. Et pourtant, les marques de luxe doivent s'adonner à l'expérimentation pour s'adapter aux consommateurs "digital natives". Le consommateur d'aujourd'hui valorise les expériences plutôt que les produits, et sa définition de l'expérience peut différer de celle perçue par les marques.
L'essentiel ici est qu'un départ tardif place les marques dans une situation où elles risquent de ne plus comprendre les attentes et les comportements de leurs clients. La transformation digitale suscite de nombreuses questions: comment une marque de luxe peut-elle se différencier dans l'univers digital, où l'expérience personnalisée et unique habituellement proposée en boutique n'entre pas en ligne de compte? Y-a-t-il un risque qu'offrir une expérience comparable à celle du marché de masse, en utilisant des outils d'e-commerce similaires, puisse ternir la valeur perçue de la marque? De notre point de vue, la transformation digitale ne doit pas amenuiser l'aspect unique et la personnalisation de l'expérience d'achat; elle doit simplement présenter l'expérience différemment.
En premier lieu, les conseillers de vente, les stylistes ou les consultants beauté ayant déjà construit une relation client solide doivent rester impliqués dans le processus. Il faut mettre à leur disposition les outils nécessaires pour assurer une communication digitale, mais personnalisée, avec leurs clients. Une transformation digitale réussie doit concentrer sa communication tant sur les valeurs de marque que sur la qualité des produits. Les marques doivent, pour ce faire, considérer les aspects opérationnels et logistiques au même titre que leurs outils de contact direct avec les clients.
Il leur faut considérer l'expérience digitale comme faisant partie intégrante du parcours client. Cette dernière peut représenter le début ou le milieu du parcours à l'intérieur de l'entonnoir d'engagement. Un canal de médias sociaux pourrait offrir une expérience d'achat complet, mais aussi servir de porte d'entrée au client pour qu'il s'immerge dans l'histoire, les valeurs et l'authenticité de la marque. D'autre part, il s'agit également d'une plateforme pour construire une communauté dont les membres interagissent entre eux et avec la marque autour de valeurs et de priorités communes. La communauté fédère, et génère de la loyauté.
Les marques de luxe n'ont pas besoin de s'éloigner de leurs valeurs fondamentales; elles doivent plutôt diversifier leurs façons de les exprimer, que cela soit au travers de la blockchain pour l'authenticité, de la réalité augmentée ou même des sessions Zoom pour les interactions individuelles. Au final, ce n'est pas la technologie utilisée qui compte, mais bien le fait que les marques de luxe accueillent ce nouveau consommateur.
L'auteur
Pascal Malotti est directeur business development & strategy de Valtech France, qu'il a rejoint en 2009. Ses précédentes expériences au sein des différents groupes de communication tels que des entités du groupe Havas, dont Connectworld, EURO RSCG Circle et W&Cie, cumulées à son expérience au sein de Valtech, lui ont permis d'être polyvalent au sein des missions qui lui sont confiées et d'en avoir une vision globale. Au sein de Valtech, Pascal Malotti accompagne les marques dans leur transformation business, sur les axes de la transformation digitale et de la conduite du changement des organisations. Il a également pour mission l'acquisition de nouvelles marques clients et d'étendre les typologies de projets menés par l'entité française.En parallèle, Pascal Malotti est membre actif du jury des Webby Awards depuis 2016, et du jury du Grand Prix Data & Créativité depuis 2017. Il enseigne également le marketing et la transformation digitale dans des masters au sein de différentes universités françaises, dont Paris Dauphine et Cergy-Pontoise.