Régis Pennel : "Faire des Galeries Lafayette une référence de l'e-commerce mode"
Figure emblématique de l'e-commerce de mode, fondateur de L'Exception, Régis Pennel a rejoint les Galeries Lafayette comme directeur e-commerce. Élu Personnalité e-commerce 2025, il pilote avec ambition la transformation digitale du "grand magasin". Rencontre.

Pourquoi avoir créé L'Exception en 2011 ? D'où vous vient cette passion pour la mode ?
J'ai une formation d'ingénieur, et j'ai commencé ma carrière dans la fonction publique. Mais je me suis rapidement rendu compte que ce type de poste, très éloigné du concret et du quotidien, ne me correspondait pas. J'ai toujours été attiré par des missions plus opérationnelles, plus dynamiques, avec un vrai lien au business development.
Assez vite, j'ai souhaité changer de voie. Je me suis tourné vers les métiers de la culture et du luxe, que je connaissais peu mais qui m'attiraient profondément. J'ai toujours eu un véritable goût pour la mode, et une fascination pour les beaux magasins, les univers créatifs, les marques audacieuses. En 2007, j'ai pris un virage en rejoignant la maison Celine, au sein du groupe LVMH. C'était un pari, car mon profil ne correspondait pas aux parcours classiques qu'il recrutait. À l'époque, il y avait très peu d'ingénieurs chez LVMH, mais on cherchait des profils atypiques. J'y ai passé cinq ans, d'abord en retail, puis en marketing. C'est de cette expérience qu'est née l'envie de créer L'Exception. En 2011, l'e-commerce de mode en était encore à ses débuts, et très peu de marques avaient leur propre site. L'idée était de créer une plateforme dédiée aux jeunes créateurs, pour faire émerger une nouvelle génération de talents. Nous avons ainsi commercialisé les toutes premières collections de marques connues actuellement : AMI Paris, Jacquemus ou encore Études Studio, etc.
Comment avez-vous vécu votre victoire aux Trophées E-Commerce 2025 ?
Être nommé après moins d'un an en poste était déjà une belle surprise, mais être élu Personnalité de l'année l'a été encore davantage - surtout au vu de la qualité du panel des nominés. J'ai sans doute bénéficié de la force d'un réseau construit au fil de plus de dix ans d'entrepreneuriat dans l'e-commerce, ainsi que du soutien de toutes celles et ceux qui ont suivi la fin de mon aventure entrepreneuriale. Le fait d'avoir pu céder ma société et rebondir aussi rapidement aux Galeries Lafayette peut, je l'espère, inspirer d'autres entrepreneurs confrontés à des périodes de transition. Ce trophée est aussi un signe de confiance envers l'entreprise qui m'a nommé à la tête de son e-commerce et peut-être la preuve qu'elle a eu raison de parier sur un ancien entrepreneur pour piloter la transformation de son activité digitale.
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Vous avez été nommé directeur e-commerce des Galeries Lafayette il y a six mois. Quel bilan tirez-vous de cette prise de poste, et quelle est aujourd'hui votre vision du digital au sein de l'enseigne ?
Il y a six mois, j'ai pris la direction e-commerce des Galeries Lafayette avec une conviction forte : l'enseigne a tous les atouts pour devenir la référence française de l'e-commerce mode haut de gamme. Le bilan de cette prise de poste, c'est d'abord la confirmation d'un potentiel unique : une image de marque puissante, une relation de confiance avec des millions de clients, et un accès privilégié à un portefeuille de marques exceptionnel - du luxe aux créateurs les plus audacieux en passant par la mode accessible.
Ma vision aujourd'hui : faire du digital un levier stratégique au service de la croissance, de l'omnicanal et de la désirabilité de l'enseigne. Cela passe par un site et une application à la hauteur des attentes des clients, une animation commerciale exigeante, une personnalisation de la relation client et une complémentarité forte avec nos magasins physiques. Le digital doit être une vitrine, un accélérateur, mais aussi une plateforme de services utile aux équipes terrain et à nos clients, où qu'ils soient.
Quelle place occupe l'e-commerce dans la stratégie omnicanale des Galeries Lafayette, et comment articulez-vous l'expérience entre le physique et le digital ?
Aux Galeries Lafayette, le digital n'est pas un canal parmi d'autres : c'est un moteur puissant de trafic, de conversion et de fidélisation pour nos magasins. Aujourd'hui, plus de 10 % du chiffre d'affaires physique provient de clients qui ont d'abord visité notre site. Le parcours d'achat commence souvent en ligne - pour découvrir une marque, repérer un produit - puis se poursuit en magasin pour vivre l'expérience. Cette complémentarité est également visible dans l'usage du click & collect, qui représente déjà plus d'un tiers de nos commandes e-commerce.
Elle se renforce grâce à l'omnicanalisation de notre stock, qui permet à nos clients d'accéder depuis le site à l'ensemble des références disponibles dans notre réseau de magasins. Notre ambition est d'aller encore plus loin. Nous développons de nouveaux services - comme la prise de rendez-vous en boutique ou l'enrichissement de notre application afin que le client puisse y retrouver ses achats autant en ligne qu'en physique. Je souhaite offrir une expérience fluide, inspirante et sur mesure à chaque client, quel que soit son point d'entrée dans l'enseigne.
Quels sont, selon vous, les principaux irritants ou points de friction dans le parcours client en ligne, et comment y répondez-vous concrètement ?
Comme beaucoup d'enseignes ayant opéré un replatforming récent, notre site - passé sous SAP Commerce Cloud en avril 2024 - est encore en phase d'optimisation. Nous avons une roadmap dense d'améliorations techniques et fonctionnelles, qui nous mobilisera jusqu'en 2026. Notre priorité aujourd'hui : corriger les irritants majeurs pour nos clients et hisser notre expérience digitale au niveau des meilleurs standards du marché. Parmi les points de friction les plus critiques : la difficulté à explorer l'offre de manière fluide et pertinente.
Pour y répondre, nous déployons la solution Vertex AI de Google afin de proposer une expérience de navigation hyper-personnalisée, que cela soit sur la recherche, les recommandations ou la mise en avant des produits. Cette logique de personnalisation s'étendra à l'ensemble du site grâce à l'implémentation de la CDP Salesforce, qui nous permettra d'adapter les parcours en fonction des préférences et du comportement de chaque client. Enfin, nous investissons aussi dans l'expérience post-achat, avec le développement d'agents conversationnels dopés à l'IA pour accompagner nos clients, répondre à leurs questions fréquentes et renforcer la qualité de service à chaque étape du parcours.
Quelles différences remarquez-vous entre les comportements d'achat de vos clients français et ceux de la clientèle internationale, notamment en ligne ?
Nos clients internationaux, très présents en magasin à Haussmann, ont une appétence forte pour les marques de luxe, les exclusivités et une expérience de service premium. Aujourd'hui, notre site n'est pas encore ouvert à la vente à l'international, ce qui constitue un paradoxe pour une enseigne à renommée mondiale. L'un de mes grands chantiers est justement d'ouvrir cette plateforme à une clientèle étrangère qui nous connaît déjà, et qui attend de pouvoir accéder à notre offre depuis l'étranger. Cela implique de mettre en place les investissements nécessaires en interne, de construire une logistique internationale fluide et compétitive, de maîtriser les enjeux douaniers et fiscaux par zone, mais surtout d'embarquer nos marques partenaires. Je suis convaincu que nous avons les atouts pour devenir une référence mondiale de l'e-commerce mode premium, à l'image de ce que représente déjà notre flagship pour le retail physique.
"Ce qui nous différencie, c'est notre capacité à conjuguer largeur d'offre et exigence de sélection."
Dans un paysage en constante évolution, quels sont aujourd'hui vos principaux concurrents ? Et comment les Galeries Lafayette se différencient-elles ?
Le paysage concurrentiel évolue vite, et il s'est fortement fragmenté. Nous faisons aujourd'hui face à quatre grandes familles de concurrents : les grandes plateformes internationales comme Farfetch, MyTheresa ou Net-a-Porter, les retailers français omnicanaux comme Printemps.com ou 24S, les pure players spécialisés sur certains segments (sneakers, luxe, créateurs) et, enfin, la seconde main, qui capte une part croissante de l'attention client, avec des plateformes comme Vinted ou Vestiaire Collective. Notre singularité, c'est d'être à la fois une enseigne patrimoniale, emblématique de la mode française, et un acteur omnicanal puissant, appuyé sur un réseau de magasins présents dans toute la France.
Cette double force nous permet de bâtir une relation durable avec nos clients, portée par un programme de fidélité attractif. Ce qui nous différencie, c'est notre capacité à conjuguer largeur d'offre et exigence de sélection, à éditorialiser notre offre mode, et permettre une expérience sans couture qui crée un parcours client inspirant. Nous regardons aussi la seconde main non pas seulement comme une concurrence, mais comme un terrain d'opportunités à intégrer intelligemment au sein de l'e-commerce, comme nous le faisons déjà en magasin.
Quelles sont les grandes priorités de votre feuille de route pour 2025-2026, et sur quels leviers misez-vous pour accélérer la croissance de l'e-commerce ?
Notre feuille de route 2025-2026 repose sur une ambition claire : faire des Galeries Lafayette une référence de l'e-commerce mode en France et, à terme, à l'international. Pour cela, nous misons sur plusieurs leviers stratégiques, au premier rang desquels : l'intelligence artificielle.
L'IA est en train de transformer en profondeur toute la chaîne de valeur de l'e-commerce, et nous comptons l'exploiter pleinement. Sur le référencement, pour enrichir automatiquement notre catalogue à grande échelle. Sur la création de contenu, avec des descriptions produits générées dynamiquement et des visuels ou vidéo optimisés par génération d'images. Sur la personnalisation de l'expérience, avec un parcours client adapté en temps réel à chaque profil et chaque intention. Et enfin sur le service client, où des agents IA viendront fluidifier et enrichir la relation. Mon ambition : transformer un géant du retail en un géant du digital.
Auriez-vous un conseil à donner à celles et ceux qui souhaitent se lancer dans l'entrepreneuriat ou envisagent une reconversion ?
J'ai assez vite compris une chose : comme le dit l'adage, il vaut mieux vendre les pelles qu'être celui qui creuse dans la mine. Si je devais recréer une entreprise aujourd'hui, je m'orienterais sans doute vers le SaaS ou les services à forte valeur ajoutée - des modèles plus scalables, avec des marges plus intéressantes.
On parle souvent d'idées, mais le vrai moteur d'un business, c'est la marge. Croire qu'on pourra compenser une faible rentabilité par le volume, c'est souvent partir avec un boulet aux pieds. Mon conseil, c'est donc de penser dès le départ à un modèle économique sain : avec une marge positive, une capacité à scaler, et une structure de coûts qui ne dépend pas exclusivement de la croissance des effectifs ou des frais fixes.
L'entrepreneuriat est une aventure aussi exigeante que formatrice. Je souhaite à chacune et chacun de pouvoir la vivre au moins une fois. Et si ça ne marche pas, quel bonheur de revenir ensuite au salariat...
2005
Régis Pennel rejoint LVMH et se spécialise dans le secteur du luxe, notamment chez Celine.
2011
Il fonde L'Exception, plateforme e-commerce dédiée à la mode haut de gamme française.
2025
Il est nommé directeur E-commerce des Galeries Lafayette pour accélérer la transformation digitale.
Photos : Rémy Deluze
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