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DossierCrise sanitaire: le luxe se réinvente

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1 - Le luxe se confronte à la consommation utile

Les marques de luxe qui auront su surmonter la crise sont celles qui auront donné du sens à leur action, auront pris correctement le virage digital et auront communiqué de manière responsable.

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Contre toute attente, les marques de luxe auront joué un rôle très actif durant cette crise sanitaire. Le groupe LVMH a été une des premières entreprises à se mobiliser pour soutenir le personnel hospitalier en adaptant ses outils de production (fabrication de masques, de gels et de crèmes pour les soignants notamment...). D'autres Maisons ont suivi en adaptant leur communication pour participer à l'effort collectif à travers des prises de parole originales, jouant sur la proximité sans rien céder au principe d'exclusivité propre au secteur du luxe. D'ordinaire discrètes, privilégiant la communication personnalisée, les marques premium auront franchi une étape dans la gestion de leur relation client et plus globalement leur engagement auprès des consommateurs.

Cette industrie aura été fortement impactée par la crise sanitaire liée au Covid-19. Non seulement, les clients de ce secteur reportent leurs achats à travers le monde, pour des raisons évidentes, mais la Chine -qui concentre 35% du marché mondial du luxe- a été le pays le plus touché. En novembre dernier, les indicateurs étaient pourtant au vert. Les cabinets spécialisés annonçaient 450 millions de clients en 2025 contre 390 millions en 2019 pour illustrer les performances de ce secteur estimées à 1300 milliards d'euros au niveau mondial. Cinq mois plus tard, les chiffres sont au plus bas. Selon les analyses de Bain&Company, l'industrie du luxe pourrait être impactée entre 15 et 35% sur son activité selon les différents scénarios de sortie de crise. Et le marché chinois pourrait voir son activité liée au luxe chuter au premier quadrimestre de 25 à 30%.

Alors que Chanel annonce -15 à -20% sur l'exercice 2020, Burberry table sur une baisse de 30% de ses ventes en boutiques sur les trois premiers mois de 2020. Depuis fin janvier, "les ventes se sont nettement détériorées, chutant de 40 à 50% à périmètre comparable", indique le groupe dans un communiqué. Pour cette catégorie d'achat, répertoriée "d'indulgence et de compensation", l'impact économique est terrible.

Pour autant, alors que la Chine sortait du confinement et ouvrait à nouveau ses boutiques, le magasin Hermès de Guangzhou (Canton), le deuxième plus grand du pays, aurait battu un record de ventes pour son premier jour de réouverture, mi-avril. Les clients y auraient dépensé 2,7 millions de dollars, soit environ 2,46 millions d'euros. En réponse au confinement, les consommateurs ont adopté un réflexe d'achat compulsif pour compenser la frustration des derniers mois. Bien évidemment, ce comportement reste propre aux consommateurs chinois, la France n'ayant pas les mêmes capacités de consommation.

Moins futiles, plus utiles

Alors, que dit cette crise de la raison d'être des maisons de luxe? Elles auront su se montrer généreuses et impliquées dans cette crise sanitaire. Leurs choix de communication et leurs actions leur ont permis de changer de posture et de renforcer leur fonction d'utilité au sein de la société. Exit l'achat culpabilisant car futile, place à l'achat raisonné car responsable. Aux yeux des futurs consommateurs et des clients, acheter du luxe, c'est faire sens.

"Avant le Covid-19, nous avions déjà constaté une tendance des marques du luxe à vouloir donner du sens dans la consommation. Il y avait déjà une prise de conscience de l'industrie à vouloir instaurer une nouvelle relation avec le consommateur avec plus de sens. Cette période a créé l'opportunité pour les marques les plus réactives de se trouver un autre rôle au-delà du futile et du superficiel. À leur manière, ces marques contribuent à donner du sens à la société, telles LVMH ou Chanel. Certaines marques se sont fortement engagées en participant à l'effort collectif. Ces postures vont changer l'image des marques de luxe auprès des consommateurs. Les codes relationnels sont en train d'évoluer", explique Nathalie Cabart, Business Development Partner à l'agence June Marketing. Au sein de l'agence BETC digital, le constat est le même: "Le marché du luxe va s'orienter vers moins de dépenses mais des dépenses plus durables pour des articles intemporels, comme peuvent en proposer des maisons réputées, considérées comme des valeurs refuges", annonce Sébastien Houdusse, directeur général adjoint de l'agence, proche du groupe LVMH. "On constate que les marques de luxe peuvent elles aussi avoir un vrai "purpose" en donnant du sens et de l'engagement à travers la consommation de leurs produits. À travers cette nouvelle posture, les marques de luxe revendiquent leur utilité au sein de la société", confirme Camille Alix, Senior Strategic Planner chez June Marketing.

Ne pas couper le fil

Maintenir le lien avec les clients reste capital. "Il est important de continuer à communiquer pour s'assurer que quand la crise sera jugulée, les marques seront dans de bonnes dispositions pour repartir", analyse Pierre Gomy, Division Insight de Kantar. Selon l'institut et son baromètre "Covid-19 (deuxième vague)", les Français acceptent les prises de parole publicitaires autour du Covid-19 à condition que les marques le fassent de manière responsable et authentique, à savoir ne pas exploiter la situation liée au coronavirus pour promouvoir la marque (67%), parler de la manière dont elles pourraient être utiles dans la nouvelle vie quotidienne (62%), informer sur leurs efforts pour affronter la situation (61%) et communiquer les valeurs de la marque (46%).

Seulement 8% estiment que les marques devraient arrêter la pub durant la pandémie. D'ailleurs, d'après le rapport "Brand Trust and the Coronavirus" du Trust Barometer Edelman 2020, 50% des Français interrogés indiquent que le comportement des marques dans le contexte de crise actuelle aura une incidence sur les achats qu'ils feront par la suite. Pour 77% des Français, il est important que la communication et la publicité soient orientées sur la fonction utilitaire des produits. Pour 64% des personnes interrogées, les marques et sociétés qui mettent en avant leurs profits avant l'humain perdront pour toujours la confiance du public. Les consommateurs attendaient donc que les marques se rapprochent d'eux en temps de confinement mais en respectant certaines conditions. Les valeurs d'utilité, d'unicité et d'authenticité émergent durant cette période de confinement.

Le digital, grand gagnant du confinement

Le canal de vente à distance a été pris d'assaut par les consommateurs dans le secteur de la distribution mais aussi dans un contexte de gestion de la relation client et de maintien du contact avec les communautés. Le confinement a clairement favorisé le digital et les marques se sont adaptées. "Les Maisons, notamment sur les marques Luxe actives en e-commerce (boutique en ligne, beauté...) sont sollicitées à hauteur de 35% sur les questions de livraison, soit 10 à 15 points de plus en moyenne que lors d'une période normale. Des questions classiques attachées au secteur du e-commerce qui prouvent que ces marques sont aujourd'hui considérées comme des acteurs à part entière du commerce", selon iAdvize. "Les marques qui ont une stratégie digitale avancée seront les plus à même de rebondir après la crise. Celles qui ont des sites, des community managers, des équipes dédiées, sont les plus réactives. Pour les autres, cette période est l'occasion de se mettre à la page et d'opérer une mue digitale salvatrice", note Camille Alix de June Marketing.

Habituées à sublimer l'expérience client en boutique, les marques de luxe ont dû repenser leur modèle de relation client. "Le luxe est une valeur refuge en cas de catastrophe. En Chine, les marques de luxe avec des réseaux de distribution ont dû repenser leur organisation avec la fermeture des boutiques. Elles sont sous-exposées au digital mais pas au e-commerce. Nous avons assisté à l'explosion du digital. Il a fallu tout décentraliser en confiant une autonomie totale aux chefs de boutique qui ont dû activer leurs réseaux de clientèle sur WeChat ou sur le Web (Instagram). On a vu se développer le clientelling avec l'utilisation d'applications permettant de créer une relation personnalisée avec la clientèle grâce à la gestion de la data en dehors du magasin. Le télétravail n'a pas empêché la gestion de la relation client", explique Michel Campan, fondateur de H20 et consultant pour les maisons de luxe.

Selon Sandra Jungfer de l'agence June Marketing, "les marques de luxe s'emparent du digital dans cette crise. Pour la première fois, une marque hyper luxe comme Philippe Patek autorise ses revendeurs à vendre des montres sur Internet. Ce qui est une révolution dans l'horlogerie. Et ce n'est pas fait dans une démarche opportuniste pour vendre davantage, mais pour permettre aux bijoutiers de maintenir une activité dans une posture de contribution positive." Les marques surfent sur le digital et ses dérivés technologiques. De nouvelles voies sont explorées en retail et vont s'installer durablement après la crise. Le social buying via WhatsApp s'est beaucoup développé en Chine, notamment concernant Louis Vuitton. Gucci a lancé une application de Retailtainment en Chine pour répondre à la demande d'experiential shopping des consommateurs. "La réalité virtuelle permet d'expérimenter le "Try before to buy" et de s'immerger dans l'univers de la marque. Durant la crise, c'est une façon d'être en contact avec la marque", témoigne Camille Alix de l'agence June Marketing. Selon les experts du cabinet Bain&Company, le passage à l'achat en ligne pendant la pandémie a mis en évidence la nécessité pour les fabricants de produits de luxe de libérer tout le potentiel de la distribution omnicanale et de maîtriser le marketing numérique. De nombreuses équipes de direction ont démantelé les silos internes pour rationaliser leur réponse à la perturbation actuelle et les entreprises ne peuvent pas reconstruire ces silos si elles souhaitent combiner les canaux en ligne et hors ligne de manière transparente.

De nouveaux modes de consommation

Chez BETC Digital, on observe que le confinement vient accélérer un phénomène déjà observé avant la crise sanitaire mondiale. "On sentait déjà avant la crise un besoin de nos clients de rattraper leur retard sur la digitalisation. Je pense que la crise va accélérer cette transformation. Cela va obliger les maisons de luxe à faire de la digitalisation à marche forcée comme Chanel qui, pour la première fois, a relayé son défilé de mode sur les réseaux sociaux chinois; un événement qui a battu des records en termes d'engagement. L'épidémie les a obligés à expérimenter de nouvelles formes de vente, notamment via les influenceurs et les vendeurs de magasins en "live stream". Les vendeurs de marques ont pu proposer des expériences de shopping personnalisées en live pour des clients, comme en boutique", témoigne Sébastien Houdusse, Deputy Managing Director de BETC Digital. Par ailleurs, les maisons de luxe doivent faire face à un marché chinois très mobile, très axé social et en France, les acteurs cherchent à s'aligner en reprenant la main sur le CRM et la data dans une logique "customer centric".

La vidéo est venue massivement en renfort pour relayer les actes d'achat. "En Chine, le "shop streaming" a explosé voyant son chiffre d'affaires doublé passant de 60 à 120 milliards", souligne Nicolas Diacono, analyste à l'Échangeur BNP Paribas.

Les leçons pour demain

C'est tout l'écosystème qui s'est trouvé modifié à travers cette crise sans précédent. Or, l'image de marque des enseignes a été jugée à travers leur capacité à maintenir un service et des échanges de qualité avec les consommateurs et les clients. Faire preuve d'agilité est une des conditions de survie. Pour préparer l'avenir, les marques s'appuient sur leurs atouts. "Celles qui vont se fortifier sont celles qui s'appuient sur un storytelling riche basé sur une histoire, un savoir-faire, un univers exclusif au-delà du produit, à l'instar de Guerlain ou Balmain. Les marques de luxe doivent jouer à la fois sur l'exclusivité et sur la proximité. Enfin, celles qui réussissent à concilier les codes du luxe élitistes et un engagement vis-à-vis de la société (sur des thématiques non liées à l'épidémie) seront gagnantes. Les incidences sur le business du luxe sont évidentes", analyse Nathalie Cabart. Les clients se souviendront des marques qui se sont engagées sincèrement durant cette période. "Les marques de luxe ont une carte à jouer sur le territoire de la "seconde main" en tablant sur un discours d'engagement plus durable. Toutes ces actions responsables ne peuvent que faire du bien à l'industrie dans son ensemble", conclut Sébastien Houdusse.



Marie-Juliette Levin

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