Fabien Versavau (Rakuten): "Nous sommes en phase de conquête de parts de marché"
Cinquième e-commerçant au monde, le géant japonais affiche de fortes ambitions en France depuis le rachat de PriceMinister en 2010. L'Hexagone est devenu le 3e marché mondial de Rakuten grâce à un large écosystème digital. Fabien Versavau , PDG France, détaille sa vision et les enjeux du secteur.
Je m'abonneQuels enseignements tirez-vous de la crise actuelle en matière de réorganisation et de souplesse ?
Rakuten est un groupe technologique, nous sommes habitués dans la trentaine d'États où nous sommes présents à avoir des équipes multiculturelles réparties dans de nombreux pays à travers le monde. Cela fait partie de notre ADN de travailler en réseau et à distance. Par exemple, l'équipe big data -située à Paris- travaille sur des services de recommandation et des algorithmes de recherche utilisés partout dans le monde. Le changement d'organisation reste relatif -même si l'ensemble des collaborateurs a basculé en télétravail pendant le confinement- nos équipes étaient déjà très agiles et habituées à gérer des projets à distance.
Cette crise a été un révélateur : nos TPE-PME françaises doivent poursuivre et accélérer leur digitalisation.
Nous allons également devoir augmenter nos investissements dans les infrastructures haut débit, notamment dans la 5G. La base du fonctionnement d'une économie demeure sa connectivité afin que les entreprises puissent travailler en mode réseau et si besoin à distance. C'est pourquoi, au Japon, depuis le 8 avril, nous sommes devenus le 4e opérateur mobile en investissant dans un réseau propre de télécommunication.
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Comment s'est déroulée l'année 2019 pour Rakuten France ?
Nous ne donnons pas de communication chiffrée par pays, mais 2019 a été la plus grosse année dans le commerce depuis que Rakuten est présent dans l'Hexagone. Dans le secteur de l'e-commerce, la France est le 3e pays derrière le Japon et les États-Unis pour le groupe. Nous sommes en phase de conquête de parts de marché et de croissance. Le chiffre d'affaires global de Rakuten est, par ailleurs, assez fortement réparti entre la maison-mère, le Japon, et ses marchés internationaux. Le marché français reste le numéro 1 en Europe de l'ouest avec un portefeuille diversifié de services (Rakuten Viber, Rakuten TV...) qui va au-delà du commerce en ligne.
Comment jugez-vous ces derniers mois écoulés ?
"2019 a été la plus grosse année depuis que Rakuten est présent dans l'Hexagone"
Nous sommes assez satisfaits du premier trimestre. Pour l'activité dédiée aux vendeurs professionnels, nous avons signé de nouveaux partenariats avec de nombreuses enseignes. Certaines d'entre elles ont ouvert leurs boutiques personnalisées sur la plateforme, comme les marques Brice, Jules, PicWikToys, Ubaldi ou Samsung France, qui est un partenaire exclusif. Nous avons renforcé notre collaboration avec Boulanger avec leur shop de produits reconditionnés "Boulanger 2nd Life". Notre modèle assez unique dans l'univers des plateformes e-commerce d' "empowerment" , en étant un pure player de la marketplace, crée un climat de confiance auprès des marchands. Nous nous comportons comme une grande galerie commerciale, "un shopping mall" , qui fédère petits commerces et grandes enseignes.
Vous avez lancé, fin 2018, votre programme "Club R Everywhere" en France, un système de points dépensables sur la plateforme, où en êtes-vous aujourd'hui ?
Nous avons gardé le même système qu'au Japon : un club ouvert à tous, mais qui nécessite de devenir membre pour bénéficier d'avantages : 5% remboursés toute l'année sur tous ses achats sur la plateforme via les "Rakuten Super Points" , et des opérations promotionnelles. Nous sommes également le seul programme de fidélité en France qui récompense les vendeurs particuliers, ces derniers ont droit à 2% remboursés en " Super Points " lorsqu'ils vendent des objets. Aujourd'hui, notre "Club R Everywhere" compte plus de 3 millions de membres et plus de 500 marques partenaires dans tous les secteurs d'activité (voyage, mode, bricolage, santé-beauté, services financiers, télécommunication, etc.). Pour les marques, cela leur permet de diversifier leurs canaux de contacts pour recruter de nouveaux clients avec des logiques marketing moins coûteuses et des taux de marge supérieurs aux campagnes classiques(digital ou réseau publicitaire).
"D'ici fin 2020, nous souhaitons connecter notre programme de fidélité avec des réseaux de magasins physiques"
Nous sommes sur des croissances supérieures à 100 % par rapport à début 2019. Au global, nos membres représentent 60% de notre volume d'affaires. Et au total, nous avons émis près de 80 millions d'euros de "Rakuten Super Points" depuis son lancement, autant de pouvoir d'achat redistribué à nos adhérents.
Avez-vous réussi à reproduire le même écosystème qu'au Japon, votre maison-mère ?
Nous avons réussi à intégrer près de 500 marques externes, mais nous n'avons pas encore les liens avec les commerces physiques. Par exemple, au Japon, vous pouvez gagner ou utiliser vos points lorsque vous allez chez McDonalds ou d'autres enseignes en dehors de l'écosystème digital. En début d'année, nous étions en discussion avec différentes marques et réseaux off line, notamment dans la restauration et le voyage, cela s'est interrompu avec le confinement bien évidemment, mais nous avançons sur ce projet.
D'ici fin 2020, nous souhaitons connecter notre "Membership Programm" avec des réseaux de magasins physiques. Enfin, concernant notre écosystème interne en France, nous avons déjà activé les connexions avec nos sociétés-soeurs du groupe Rakuten : Rakuten TV, par exemple. Nos membres peuvent gagner des points sur la marketplace en achetant ou en vendant des objets, puis se connecter sur Rakuten TV et retrouver leur porte-monnaie de points et les utiliser pour du streaming vidéo. Idem pour Rakuten Viber ou pour les liseuses numériques "Rakuten Kobo".
Quels sont les services récents que vous avez développés sur le marché français ?
Notre service de click and collect "Rakuten Instore" est le plus impactant en termes de business. Nous l'avons amélioré au fur et à mesure depuis son lancement il y a 18 mois, et nous le déployons dans de nombreuses enseignes. Via une plateforme technologique qui géolocalise le stock des différents points de vente de nos marchands partenaires, nous proposons un retrait en une heure en boutique partout en France. Nous sommes la seule place de marché à proposer cette expérience d'achat à nos vendeurs et à nos acheteurs. Les enseignes ont besoin de valoriser leurs magasins et de générer plus de trafic et de contacts avec leurs clients. Ce point sera encore plus prégnant après cette crise sanitaire. Nous travaillons également sur l'intelligence artificielle avec nos vendeurs.
Depuis un an, nous progressons sur tout ce qui concerne les réseaux neuronaux, le deep learning, pour améliorer la gestion des catalogues. Nous avons 200 millions d'annonces référencées sur la plateforme en France, aussi cela impose d'utiliser de plus en plus l'IA pour pouvoir catégoriser les produits, les dupliquer, générer des attributs pour que nos clients puissent filtrer leurs articles... L'objectif est de simplifier la vie de nos commerçants sur notre plateforme, et côté utilisateurs, permettre un accès aux produits et une gestion de recherche plus performante.
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Selon vous, qu'est-ce qui différencie l'e-commerce français des autres pays ?
Quand vous regardez d'autres marchés comme l'Amérique du nord ou l'Europe de l'ouest, l'e-commerce français est plus fragmenté. Il repose moins sur deux ou trois gros acteurs ou plateformes et il est très dynamique en termes de concurrence. C'est une bonne chose, aussi bien pour les consommateurs que pour nous, e-commerçants, cela nous oblige à innover, investir et à nous challenger. Le commerce en ligne en France est sain en termes de dynamique et de concurrence tout en étant assez équilibré entre la part de marché des retailers physiques qui se sont mis au commerce en ligne et les pure players comme Rakuten, nés avec Internet.
Comment continuez-vous à vous démarquer d'Amazon et d'Alibaba dans votre stratégie globale ?
Les deux piliers de Rakuten dans le monde demeurent notre stratégie d' "empowerment" différent du "new retail" et la fidélisation avec notre programme unique pour le commerce en ligne (plus d'1,4 milliard de membres de "Rakuten ID" au global). Rakuten est l'un des seuls groupes à investir dans la fidélisation, cela nous différencie des autres e-commerçants qui historiquement investissent plus fortement dans le marketing d'acquisition.
Nous faisons partie du Top 5 des plus grands groupes d'e-commerce dans le monde, mais nous n'achetons pas de magasins et n'investissons pas dans le retail physique.
Rakuten a une vraie culture de partenariat en travaillant de manière durable avec des distributeurs importants comme Walmart aux États-Unis ou Boulanger en France.
Avez-vous des projets de rachat de start-up ?
Absolument. Nous investissons et continuons de le faire sur le marché français. Nous sommes déjà plus de 450 collaborateurs et avons déjà racheté trois entreprises en France, tout en créant des équipes "en organique". Nous poursuivons notre dynamique et observons le secteur sur des sujets précis : fidélisation, IA, technologies d'empowerment pour nos marchands afin de générer rapidement des services pour plus de chiffre d'affaires et de marges, et bien sûr toute la thématique de "Direct consumer". De plus en plus de marques internationales nous demandent de les aider à développer leur e-commerce en direct. Nous regardons les technos et process que nous pouvons réaliser en interne et éventuellement les start-up dont nous pourrions faire l'acquisition.
Quel est le bilan de l'activité de la régie ? Quel type d'annonceurs fédérez-vous ?
Le lancement de notre régie est le fruit de la réorganisation de "Rakuten Advertising" dans le groupe. Cette division compte plusieurs milliers de collaborateurs dans une vingtaine de pays et elle est parmi les premiers "Ad Networks" au monde en display, search et en performances (affiliation) avec plusieurs dizaines de milliers d'annonceurs. En France, nous étions en retard sur ce thème : nous n'avions pas encore adopté l'organisation et l'offre de services internationales. Cela est à présent acté depuis le début d'année.
En tant qu'acteur généraliste, nous avons une couverture importante de tous les annonceurs et dans tous les domaines d'activité, avec une spécificité sur la performance, via l'affiliation, pour s'adresser aux marques et au retail. Nous permettons d'agréger l'ensemble des data et des audiences de la galaxie Rakuten entre la place de marché, l'entité advertising (ex Nextperformance), Rakuten TV... Les annonceurs peuvent ainsi être présents sur de multiples points de contact et de formats de streaming vidéo sur des critères d'intérêts, de contenu et via la place de marché.
Où en êtes-vous dans le rapprochement des marketplaces française et allemande afin de proposer un guichet unique aux vendeurs européens ?
La plateforme unifiée est en cours d'implémentation. Nous prévoyons très probablement de démarrer avec quelques gros vendeurs ou marques. Le projet a pris un peu de retard en raison du contexte, mais le guichet unique devrait être effectif en septembre.
Quelles sont les ambitions de Rakuten France cette année ? Et au global ?
En termes de business, le mois de mars a été particulièrement difficile en France, avril a été plus compliqué en Amérique du nord en raison du déplacement de la contagion de Covid-19. Nous restons prudents sur nos perspectives de croissance. Nous devons attendre encore quelques semaines pour mesurer le rebond et la sortie de crise. Je reste néanmoins très optimiste sur l'après-été et sur la fin d'année. Je pense que nous ferons une très belle fin d'année pour nous permettre une ré-accélération en 2021. Jusqu'à présent, la réponse du gouvernement français a été pragmatique et efficace dans le soutien de l'activité économique et dans le pouvoir d'achat des consommateurs.
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Vous êtes arrivé en 2016 au sein de Rakuten, qu'avez-vous gardé de l'essence de PriceMinister dans votre management ?
(Sourire) Rakuten a racheté PriceMinister en 2010, aussi dès 2011 et jusqu'à mon arrivée, il y avait déjà un mélange culturel qui s'était opéré entre la culture française de PriceMinister, ex start-up / scale-up, et la culture japonaise de Rakuten. Cela se matérialise notamment par l' "azakai", une tradition chez Rakuten qui s'applique pour toutes les entreprises du groupe. Chaque mercredi matin, nous organisons une réunion hebdomadaire, pendant 30 minutes, durant laquelle l'ensemble de l'entreprise se réunit pour communiquer notre marché, nos projets et initiatives en totale transparence. Et côté PriceMinister, nous avons gardé le fait que l'accueil des nouveaux arrivants se fasse en chanson. Une fois par mois, nous réunissons lors d'une session d' "azakai" les nouveaux stagiaires ou salariés, ces derniers montent sur scène et se présentent en faisant un petit tour de chant devant toute la société. Ce sont toujours des moments très conviviaux et qui créent une connexion et connivence de nous tous.
Enfin, que représente la culture de l' "omothenashi" au sein de Rakuten ?
L' "omothenashi" signifie en japonais "le sens du client" que l'on retrouve chez les Anglo-saxons sous le terme "customer centric" ou "hospitality". Le Japon est la capitale mondiale du service client, l'attention au client n'a pas d'équivalent dans le reste du monde. Cette valeur se diffuse dans nos métiers via notre relation de confiance durable et un partage de la valeur équilibrée avec nos vendeurs. Nous voulons faire converger nos intérêts avec nos marchands. Dans la culture japonaise, nous sommes sur une culture du temps long.
Né en 1975, Fabien Versavau est diplômé d'un master en Management à l'ESC Clermont-Ferrand et d'un MBA ESSEC & Mannheim Business School. Il a évolué pendant 15 ans dans l'univers digital, en débutant sa carrière chez Ford puis Renault. Après avoir travaillé aux États-Unis, Fabien devient directeur du développement Europe chez LeGuide.com, puis business development director de SNCF Voyages. De 2011 à 2016, Fabien Versavau a occupé la fonction de directeur marketing digital du Figaro et, en parallèle, de directeur général de Ticketac.com, avec pour objectif de développer les activités digitales et e-commerce. En 2016, il rejoint le groupe Rakuten en tant que directeur général adjoint de Rakuten France, avant d'accéder au poste de PDG de Rakuten France en 2018.