L'e-commerce alimentaire atteint un nouveau palier
Les ventes de produits de grande consommation connaissent en France une explosion de leurs ventes on line (drive et livraison à domicile). Elles atteignent un niveau jamais observé en Europe : après avoir dépassé 10% certaines semaines, la part de marché du e-commerce pourrait rester au-dessus de 8%.
Je m'abonneSi en raison des mesures prises par le gouvernement sur la limitation des déplacements, les consommateurs ont eu tendance à privilégier les circuits de proximité, ils ont également eu massivement recours au circuit on line, afin de limiter voire totalement éviter les contacts avec l'extérieur. Résultat, les ventes en ligne ont doublé sur la semaine du 6 au 12 avril, faisant gagner plus de 3 points de parts de marché à ce circuit depuis le début du confinement, indique Nielsen.
Il représente à court terme environ 10% du marché des produits de grande consommation (plus de 10% début avril), un niveau record pour ce circuit qui était encore à moins de 6% en 2019. La France demeure plus que jamais n°1 de l'alimentaire on line en Europe, devant le Royaume-Uni.
Si la livraison à domicile est en plein boom, avec des ventes qui ont doublé sur ces 2 dernières semaines, plus de 80% de la croissance du e-commerce alimentaire "généraliste" reste réalisée par le drive. Déjà le circuit le plus dynamique en 2019, le drive est aujourd'hui l'un des moyens privilégiés pour faire ses courses, et la quasi-totalité des points de vente équipés y contribuent.
Des drives aussi performants que les magasins
"Avant le début du confinement, près de 750 drives accolés à des supermarchés ne dépassaient pas la dizaine de commandes par semaine : ils ont en moyenne triplé leur chiffre d'affaires, certains dépassant même les 30 000 euros hebdomadaires", commente Daniel Ducrocq, directeur du service distribution chez Nielsen, .
Le constat est le même du côté des drives historiquement les plus performants, qui parviennent désormais à faire quasiment le même chiffre d'affaires que le magasin auquel ils sont rattachés, sur les catégories de produits les plus sensibles (alimentation infantile, lait, papier toilette...). Les meilleurs drives avec entrepôt dédié dépassent désormais les 500 000 euros de chiffre d'affaires hebdomadaire depuis le début du confinement.
"Pour un hypermarché, les bons chiffres de son drive permettent en partie de compenser les pertes du magasin des dernières semaines, mais l'équation économique reste très souvent négative, du fait des forts coûts engendrés par cette nouvelle demande", pointe Daniel Ducrocq.
Une clientèle diversifiée
Cette performance est liée à une diversification de la clientèle : l'e-commerce séduit bien au delà des familles, qui faisaient jusqu'à maintenant la majorité du chiffre d'affaires : sur la première semaine de confinement, ce sont 1,2 million de foyers supplémentaires qui s'y sont essayés, dont près de 500 000 retraités. Des foyers qui étaient avant la crise de gros clients des hypermarchés, où ils effectuaient la moitié de leurs dépenses.
Lire aussi : Le prospectus : au-delà de l'adhésion des Français, un enjeu de performance pour les enseignes
La France suit ainsi l'exemple du Royaume-Uni, où la moitié des acheteurs on line depuis le début du confinement n'avait pas effectué un seul achat sur ce canal le mois précédant la crise.
Ce recrutement massif, couplé à une augmentation du panier moyen, a permis au e-commerce d'enchaîner des taux de croissance de haut vol, jusqu'à être multiplié par 2 (+98%) sur la dernière semaine. Et pourtant cette performance n'était pas gagnée d'avance : comme dans les magasins physiques, c'est toute la chaîne logistique et l'organisation qui ont été mises à l'épreuve. Sur les catégories les plus recherchées par les consommateurs, comme les pâtes, les essuie-tout ou encore le riz, les taux de rupture ont dépassé 30% dans plusieurs enseignes de drive. L'assortiment total proposé par les drives est ainsi plus limité aujourd'hui qu'avant la crise, pour 80% d'entre eux : entre la semaine 9 et la semaine 15, il a baissé en moyenne de 6.9% dans les entrepôts déportés, et de 5,3% dans les drives accolés selon A3Distrib (société du groupe Nielsen).
Outre un assortiment plus court, les consommateurs ont éprouvé des difficultés à trouver des créneaux de livraison ou de retrait, même si les distributeurs français semblent s'en être mieux sortis que leurs homologues anglais. Selon Charlotte Palud, consultante spécialisée sur l'e-commerce chez Nielsen France, "le circuit a perdu des parts de marché au Royaume-Uni, du fait de la difficulté de trouver des livreurs pour la réception des marchandises à domicile, qui à l'inverse de la France, représente 80% des achats en ligne. Et pour la même raison, dans plusieurs grandes villes européennes comme Madrid, les livraisons de commandes de produits alimentaires ont même dû être suspendues momentanément".
La productivité est aussi pénalisée par les règles de distanciation sociale, peu adaptées aux entrepôts, qui ne permettent pas d'accroître suffisamment le nombre d'employés qui y travaillent pour répondre efficacement à la demande.
Le drive booste l'ensemble des rayons
Si certaines catégories sont en difficultés en cette période de crise, car considérées comme moins essentielles par les consommateurs, ce n'est pas la tendance observée en drive. L'ensemble des rayons sont dynamiques, surgelés et épicerie en tête.
Ainsi, le drive continue à gagner du terrain là où il est déjà fort, et en particulier sur les catégories de produits destinées aux enfants : sur la période du confinement, il représente 22% du marché de l'alimentation infantile, et 16% des compotes. Du jamais vu.
Mais cette période est également l'opportunité pour le drive de percer sur des catégories où il était jusque-là sous performant : les ventes de bières et de whisky ont doublé, les spiritueux étant pourtant à la peine en magasin. Le drive est aussi le seul circuit de grande distribution à être en croissance sur les chocolats de Pâques.
Plus étonnant, les ventes de produits frais traditionnels explosent également, alors qu'en temps normal, l'assortiment court et l'impossibilité de choisir et toucher ses fruits et légumes sont des freins pour de nombreux consommateurs. Un frein qui est devenu un atout inattendu pour le drive, les fruits et légumes représentant désormais 7,1% du chiffre d'affaires total du circuit : c'est plus que pour la moyenne des magasins physiques. Une tendance qui ne devrait cependant pas se confirmer après la fin du confinement et la réouverture plus massive des marchés.
8% de part de marché de l'e-commerce alimentaire
Naturellement, l'e-commerce va bénéficier à plus long terme de la situation actuelle. "En Chine, où l'e-commerce a atteint 30% de part de marché sur l'alimentaire pendant le confinement, 89% des consommateurs disent vouloir effectuer désormais plus fréquemment des achats on line de produits frais et de première nécessité", souligne Daniel Ducrocq.
Des propos approuvés par Marc Lolivier,directeur général de la Fevad : "certains consommateurs qui n'utilisaient pas internet pour leurs achats du quotidien auront pris de nouvelles habitudes pendant le confinement, et seront durablement convertis pour une partie de leurs achats. Ce sont notamment la livraison de produits bio, de produits frais issus de circuits courts qui vont bénéficier de la crise actuelle pour capter de nouveaux adeptes".
D'autres seront déçus de l'expérience clients actuelle ou préféreront rester fidèles à leurs habitudes de consommation d'avant crise, une fois l'état d'urgence sanitaire passée, et pourraient abonner le on line. Mais le solde sera à coup sûr positif, si bien que Nielsen anticipe une part de marché qui sera autour de 8% sur le reste de l'année 2020.